Top 5 : One chip, one chair
dansIls n'avaient plus rien ou presque, mais ils ont tout de même fini par l'emporter… Retour sur 5 des plus belles remontadas de l'histoire du poker.
On vous le rabâche suffisamment à longueur d'article et en particulier lors de nos reportages live (RIP) : à une table de poker, rien n'est jamais terminé ! Comme pour un tennisman confronté à plusieurs balles de match ou une équipe de foot menée de trois buts à la mi-temps, il est toujours possible de renverser la vapeur et signer un retentissant back in business, pour reprendre une expression chère à notre P14B national. Sauf que nos cinq larrons du jour n'ont pas seulement su s'extirper de la zone rouge : ils ont poussé le bouchon jusqu'à coiffer l'ensemble de leurs adversaires sur le poteau pour aller soulever le trophée ! De "l'inventeur" de la fameuse expression qui donne son titre à notre article au Champion du Monde 2012 en passant par cet immortel ressuscité après être tombé aussi bas qu'une ante à la bulle : oubliez le Paris Saint-Germain et préparez-vous à donner un nouveau sens au mot remontada.
Sam Greenwood : une remontée qui vaut (très) cher
PartyPoker Live MILLIONS Barcelone (2018)
Lorsqu'on buy-in des tournois pour 50 000 €, chaque jeton vaut son pesant d'or... Alors si par malheur on se retrouve short stack, pas question de spew ses derniers chips (sauf si l'on est un joueur amateur plein aux as, mais c'est une autre histoire). Pour les pros, et même les mieux rollés, il serait impensable de perdre une telle somme sans avoir tout essayé pour se refaire. Alors il n'est finalement pas si étonnant d'assister à des remontadas dans les règles de l'art sur ces tournois : la grande majorité des joueurs qui composent le field des Super Highrollers sont des compétiteurs hors pair et maîtrisent les tableaux de Nash sur le bout des doigts.
Demandez donc à Sam Greenwood, l'un des joueurs affichant les résultats les plus réguliers sur les SHR ces dernières années, et qui possède depuis longtemps son rond de serviette dans le Top 30 du classement GPI. Mais si Greenwood a remporté de nombreux titres en ayant dominé la finale de la tête et des épaules, toutes les victoires du Canadien n'ont pas été un long fleuve tranquille... C'était particulièrement le cas sur le Super Highroller à 50 000 € du PartyPoker MILLIONS joué à Barcelone en novembre 2018 (un festival sur lequel s'était notamment illustré Davidi Kitai). Au départ du Day 2, les sept survivants sont déjà ITM, mais l'ancien trader est dans le ventre mou du peloton. Et les choses ne vont pas franchement s'améliorer pour lui : il se retrouve lanterne rouge suite à un gros pot perdu contre Sergio Aido alors que personne n'a encore été éliminé. Avec un stack de 600 000 jetons aux blindes 250 000/500 000, soit à peine plus d'une blinde, le plus expérimenté des jumeaux Greenwood (son frère Luc débute alors sur les très gros buy-ins) peut apercevoir la voiture-balai dans son sillage, prête à l'embarquer.
Mais sur une table de sept joueurs, tout peut aller très vite. Et le Canadien va finalement réussir plusieurs double-ups successifs pour revenir dans la partie, bénéficiant de l'indispensable coup de pouce du destin pour gagner les coups à tapis importants, craquant notamment deux Rois avec son As-2. Il fallait bien ça au milieu d'une armée de sharks comme João Simao, Patrik Antonius, Sergio Aido ou Mathias Eibinger, qui termine finalement à la 7e place un temps promise à Greenwood. Sans coup férir, ce dernier se refait progressivement une santé, éliminant notamment Jean-Noël Thorel en 5e place. Encore en difficulté à trois joueurs restants, Sam parvient une nouvelle fois à renverser la tendance, laissant Antonius sortir 3e, puis se jouant d'Aido en heads-up malgré un stack deux fois inférieur au début du duel. Un titre finalement mémorable donc, d'autant qu'il s'agissait du premier trophée de Sam sur un tournoi si prestigieux et onéreux (si l'on excepte un 50 000 $ Challenge insignifiant à cinq joueurs aux Aussie Millions), après avoir trébuché plusieurs fois sur les dernières marches.
Mais le pire, c'est que le bougre, qui est aujourd'hui l'un des plus gros gagnants de l'histoire du circuit Partypoker MILLIONS, n'en était pas à son coup d'essai en terme de résurrections : l'année précédente, lors de l'étape de Punta Cana, il s'était adjugé le Main Event pour là aussi un joli million de dollars après être tombé à 2,5 blindes en finale... Alors, talent ou réussite ? Un peu des deux mon capitaine ! - Rootsah
Jordan 'Ante Man' Levy : le miraculé
Grande Finale du Winamax Poker Tour (2017)
Ce n'est pas nouveau, il y a toujours de belles histoires sur les festivals live Winamax. Et la finale du WiPT 2017 n'échappe pas à la règle. Nous sommes sur La Fièvre, l'un des tournois annexes à 400 €, à l'intérieur ce que l'on appelle encore le Cercle Clichy-Montmartre, et nous nous retrouvons à la bulle en compagnie d'un parfait inconnu : un certain Jordan Levy. Ce dernier a signé la première place payée de sa carrière en live deux jours auparavant sur le Totem. Au Day 2 de ce beau tournoi qui a enregistré pas moins de 642 entrées, Jordan est tout proche de réussir son second cash d'affilée, puisqu'il est toujours en vie alors que le Tournament Director vient de lancer le main-par-main à 81 joueurs restants. Problème : le joueur francilien est le favori pour sauter à la pire place possible, puisqu'il ne lui reste plus que 3 000 jetons soit... une ante ! À peine un tiers de petite blinde : difficile de tomber plus bas.
Mais comment en est-il arrivé là, sachant qu'il faisait partie des plus gros tapis au départ de la journée à 150 joueurs restants ? En perdant tous les coups selon le coverage de notre collègue Veunstyle sur ClubPoker, et en assistant en spectateur aux éliminations qui se sont enchaînées à la vitesse de l'éclair lors de la pré-bulle. Heureusement pour Jordan, d'autres petits tapis n'ont pas vraiment conscience de la situation, ou ne sont pas assez patients, alors qu'il leur suffit de tout folder en attendant que le super short stack soit éliminé. Ce dernier est donc certainement tout heureux de voir qu'on s'envoie en l'air à d'autres tables, avec des tapis payés lors des deux premières mains du hand-by-hand (mais pas d'éliminations). Cependant, il décide de jouer son tournoi avec un As-10 plus que légitime sur la main suivante, démultipliant son stack (mais ne pouvant même pas encaisser le montant des blindes). Et il ne va pas regretter d'avoir pris son temps : sur la main suivante, trois all-in and call sont annoncés sur d'autres tables ! Une main qui aboutit finalement à deux éliminations. Improbable rescapé, Jordan entre dans l'argent, s'assurant un minimum de 650 € alors que tout portait à croire qu'il allait repartir les poches vides !
La suite est un conte de fées : le Parisien enchaîne les double-ups pour passer rapidement de 3 000 à 400 000 jetons, grattant un à un les paliers de gains et se frayant un chemin sur les dernières tables, signant notamment un strike en demi-finale (deux joueurs éliminés sur la même main). Résultat, alors qu'il était à un doigt de rentrer bredouille quelques heures auparavant, c'est un Jordan Levy souriant qui pose pour la photo des finalistes le lendemain, avec le troisième tapis des 9 survivants s'il vous plaît ! Et après avoir renversé le chipleader Eren Demiroglu, c'est bien Air Jordan qui s'élèvera tout en haut du palmarès de ce tournoi, le tout pour un gain de 33 850 € après un deal avec son runner-up Timothée Scotti. De quoi gagner un surnom bien mérité pour l'éternité : Ante Man. - Rootsah (photos : Veunstyle / ClubPoker - CCM)
Jack Straus : aux sources du mythe
Main Event des WSOP (1982)
C’est rien de moins que l’origin story de l’expression à laquelle nous consacrons cet article, le premier come-back légendaire de l’histoire du jeu, celui qu'on retrouve dans tous les livres. C’est aussi l’histoire d’une race de joueurs ayant presque entièrement disparu : les road gamblers du Texas, intrépides bourlingueurs qui sillonnaient les routes poussiéreuses du Lone Star State à la recherche de parties… le plus souvent illégales et mal fréquentées. Ces chercheurs d’or d’un nouveau genre devaient composer avec un peu plus de paramètres que les grinders d’aujourd’hui. Leurs gains n’étaient pas seulement soumis à la variance propre au poker. Il leur fallait aussi composer avec les flics, qui avaient le chic pour toujours faire irruption au mauvais moment et siffler la fin de la récré pile lorsqu’ils étaient en plein rush. Les tricheurs étaient légion, de même que les braqueurs, qui les attendaient régulièrement à la sortie pour les délester de leurs billets fraîchement acquis (quand il ne s’agissait pas d’un mauvais perdant souhaitant récupérer ses pertes, Colt en main).
Chasseur à ses heures perdues, parieur de l’extrême, broke un nombre incalculable de fois mais jamais à court d’idées pour se refaire, Jack Straus fut l’un de ces pros ayant connu le Far West du poker. En 1970, c’est avec quelque soulagement qu’ils ont accueilli la création des World Series of Poker : l’invention du poker de compétition en casino apportait enfin à leur choix de carrière un semblant de légitimité. Tout comme son ami Doyle Brunson, c’est sur les terrains de basket de l’université que l’imposant barbu (1m95 !) a signé ses premiers exploits. Et à l’instar de Texas Dolly, ses penchants pour un poker sauvage et débridé se sont exprimés à merveille dans une variante qu’ils ont tous deux contribué à populariser : le Texas Hold’em, joué de préférence en no limit et heads-up. Quand débute l’édition 1982 des WSOP, Straus peut se targuer d’avoir été de tous les rendez-vous annuels au Binion’s Horseshoe, et d’un titre remporté dix ans plus tôt en Deuce to Seven. Sur le Main Event, en revanche, peau de balle : souvent distrait par les juteux cash games organisés en parallèle, Straus saute plus souvent que jamais parmi les premiers. Et sur cette 13e édition marquée par une milestone d’importance (pour la première fois, le Main Event dépasse les 100 inscrits), il semble destiné à une nouvelle élimination rapide. Misant tous ses jetons dès le premier jour, il perd le coup et se lève… avant de remarquer qu’il n’a pas tout perdu. Planqué sous une serviette en papier se trouve en effet un jeton oublié, d’une valeur de 500. Les historiens du poker l’affirment avec conviction : Straus n’avait pas prononcé les mots « all-in » sur le coup qui venait de se terminer. Ce jeton esseulé pouvait donc être joué, Straus était encore in ! Peut-être, mais peu importe, en vérité : en 1982, les règles des WSOP étaient assurément moins strictes et gravées dans le marbre qu’aujourd’hui. De nos jours, le coup du jeton planqué sous un papelard ne tiendrait pas deux secondes face à un superviseur : chaque joueur est tenu de bien disposer l’intégralité de son stack devant lui, et en mettant au premier rang les gros jetons, s'il vous plaît... Mais ne gâchons pas une anecdote pour un bête point de règlement.
Un unique jeton de 500, donc. C’est à peine de quoi voler les blindes sur la prochaine main, ce que Straus s’empresse de faire. Puis une fois encore. Et une fois encore. Et ainsi de suite jusqu’à se retrouver back in business, avec un tapis lui permettant de recommencer à jouer son poker. Avance rapide : 24 heures et une belle quantité de bluffs plus tard, Straus termine le Day 2 en tant que chip-leader. Rebelote le lendemain : la table finale peut alors commencer et Straus va personnellement se charger des cinq premières éliminations. Après la sortie de Doyle Brunson (encore lui) puis de Berry Johnston (qui allait terminer vainqueur en 86), le voilà en heads-up contre l’ancien prof Dewey Tomko, détenteur d’un bracelet remporté en 1979. Dix minutes plus tard, les tapis s’envolent préflop, les jeux sont retournés : As-4 chez Tomko, As-10 chez Straus. Le pot est massif, et le flop apporte un 4. Straus a-t-il abattu tout ce boulot pour stupidement échouer en seconde place ? Non : un 10 vient lui rendre l'avantage sur la rivière. « Un miracle, de la pure chance », s’exclame Straus tandis que Doyle Brunson lui tombe dans les bras, avant d’ajouter la phrase désormais immortelle : « Tout ce dont vous avez besoin, c’est d'un jeton et d'un siège. » Six ans plus tard, il s’éteindra brutalement à l’âge de 58 ans, victime d’un anévrisme au beau milieu d’une partie au Bicycle Casino de Los Angeles, et sera intronisé au Hall of Fame dans la foulée. – Benjo
Greg Merson : le combat intérieur
Main Event des WSOP (2012)
Ressortir victorieux après être passé tout près de la sortie de route à une table de poker est une chose. Surmonter une addiction après avoir touché le fond au point de mettre en danger sa propre vie en est une autre. Greg Merson a connu ces deux situations et en est ressorti doublement vainqueur. Le tout en moins d'un an. Retour en arrière, à l'aune des World Series of Poker 2012. Depuis plusieurs années, le jeune professionnel du Maryland fait partie de cette génération de joueurs qui ont le poker online dans le sang, passant le plus clair de son temps sur les tables de cash game online. "À une certaine époque, je jouais entre 20 et 24 tables en même temps, essayait-il de se rappeler en septembre 2012 pour Cardplayer, soit environ 1 500 à 2 000 mains par heure, pendant les quatre ou cinq dernières années." On vous laisse faire le calcul par vous même, nous on a déjà la tête qui tourne. Peu versé dans l'art subtil du poker de tournoi (il le confessera en interview tout de suite après sa victoire sur le Big One), Merson ne connait que peu de réussite en MTT live... jusqu'à donc ce fameux été 2012.
D'abord cinquième et bubble boy de la table finale officielle d'un tournoi à 2 500 $ joué en 4-handed, il remporte moins de trois semaines plus tard le fameux 6-max Championship pour plus d'1,1 million de dollars. Mais le meilleur reste à venir, lorsqu'il se glisse parmi les November Nine avec le troisième tapis et un statut de favori des bookmakers. Pourtant, tout aurait pu se terminer dès le Day 5. Sur un flop QJ3, Merson part à tapis avec son AJ mais ne parvient pas à améliorer face à la paire de Valets de l'Urugayen Fabrizio Gonzalez. Tombé à moins de deux blindes, l'Américain double dès la main suivante puis une nouvelle fois, jusqu'à mettre dans le sac de fin de journée un tapis supérieur à la moyenne. Un scénario hollywoodien qui tentera de s'auto-remaker en finale, où Merson perd un bon quart de son tapis en à peine plus de vingt mains. "Quatre jours avant la reprise du tournoi, j'ai rêvé que j'allais terminer huitième. Ça m'a fait flipper !" Le reste, comme ils disent, is history, Merson parvenant à surmonter sa peur et son stress pour s'imposer, repartir avec le bracelet de Champion du Monde, les 8,5 millions de dollars qui vont avec et le titre honorifique de Player of the Year.
Mais s'arrêter là reviendrait à ne raconter que la moitié de l'histoire. À l'instar d'un Tony Miles, passé de son côté à un cheveu de remporter le plus beau des tournois, Greg Merson a dû revenir de l'enfer et combattre ses propres démons avant même de fouler de nouveau la moquette du Rio. Grâce à l'appétance toute américaine pour ces sordides histoires d'addictions surmontées grâce au pouvoir de la volonté individuelle, la trajectoire de Merson est désormais bien connue. "Je suis devenu accro à la drogue à partir de 17 ans, a-t-il notamment révélé aux médias et dans un livre (Success - By Those Who've Made It). J'ai perdu environ 15 kilos en cinq mois à cause de la cocaïne durant ma première année à l'université." Suivront d'autres produits et d'autres substances (l'alcool, le cannabis mais aussi l'héroïne de synthèse ou encore l'Adderall), une première désintox en août 2007 suivie d'une rechute début 2011, causée en bonne partie par de violents downsings aux tables en ligne. L'intéressé se souvient même d'une session sous influence dans la Bobby's Room aux blindes 200 $/500 $. "Je sentais que j'étais prêt à jouer contre les meilleurs du monde en termes purement techniques mais dans le même temps, j'avais perdu toute emprise sur la réalité."
Une spirale infernale qui se poursuit jusqu'à l'automne avant l'ultime prise de conscience. Encouragé par ses amis joueurs Christian Harder et Anthony Gregg, il choit de s'isoler dans un endroit allant a priori à l'encontre de tout ça : une chambre de l'Aria à Las Vegas. "La pire semaine de ma vie," selon Merson, qui aurait passé presque trois jours d'affilée cloué au lit. La pire semaine donc mais aussi la plus essentielle, celle qui l'a tiré des limbes pour l'aider à atteindre le Nirvana. Aujourd'hui en retrait par rapport au circuit, ne montrant guère sa ganache de Champion du Monde qu'une fois par an lors des WSOP, apparemment heureux en couple et jeune papa, Greg Merson semble avoir trouvé l'équilibre qui lui convient. Sans aucun doute sa plus belle victoire. - Flegmatic
Evan Jarvis : quand ça veut pas…
Online (2015)
Tiens, et si on se plaçait pour une fois du côté du perdant ? En direct sur Twitch un soir de mars 2015, Evan "GRIPSED" Jarvis était en pleine confiance au moment d'attaquer la dernière ligne droite d'un tournoi online. Galvanisé par ses supporters dans le chat, surexcité par l'enjeu (et de discutables beats EDM poussés à fond les ballons), le pro canadien double sur elwood555, son dernier adversaire, avec un As-4 tenant bon préflop face à Roi-Dame. Trois mains et un vol de blindes plus tard, le voià désormais équipé de 710 000 jetons. En face : 30 000. Moins de deux blindes, un écart de 33 contre 1 ! Game over ? Pas du tout, et c'est bien tout le sel de la vidéo ci-dessus, que l'on aura du mal à regarder sans réprimer quelques sourires, devant le spectacle d'un Jarvis incrédule au moment de se prendre plusieurs rivières de l'espace, perdant toutes ses confrontations à tapis (y compris avec deux As ou deux Rois en main) pour finalement se faire voler la victoire. Qu'est-ce qu'on disait, déjà ? Ah oui : one chip, one chair. - Benjo
Vous aussi, vous êtes déjà revenus du diable-vauvert avant de soulever le trophée ? Racontez-nous sur nos réseaux !
Les pages à suivre :