[ITW] William Reymond, l'Amérique au cœur
Par Général
dansRésident américain de longue date et journaliste d'investigation, passé expert francophone n°1 de Donald Trump, le détenteur d'un bracelet WSOP analyse avec nous l'élection cruciale à venir. Avec parti pris, mais sans fake news.
C'est à croire que l'expression galvaudée "multi-casquettes" a été inventée pour William Reymond. Né en 1971, ce journaliste d'investigation a émigré aux États-Unis à la fin des années 1990, où il connaîtra plusieurs vies. Féru d'enquêtes criminelles, il ouvre sa carrière d'auteur avec un ouvrage consacré à l'affaire Dominici – le bouquin sera adapté en téléfilm sur TF1 avec Michel Serrault et feu Michel Blanc – avant de s'attaquer à plusieurs éléments constitutifs du mythe américain : l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, la malbouffe, Coca-Cola, Marilyn Monroe, George W. Bush... Correspondant pour plusieurs magazines francophones, il a aussi trouvé le temps de co-signer les scenarii de trois courts-métrages estampillés Assassin's Creed.
Mais ces jours-ci, ses travaux sont presque entièrement centrés sur la politique américaine, en particulier les faits et gestes d'un certain Donald Trump. Ce qui ne l'empêche pas de trouver le temps d'enchaîner les sessions de cash game live, et même de gagner un bracelet WSOP. Le 5 novembre prochain, celui qui possède désormais la double nationalité franco-américaine votera pour départager Donald Trump et Kamala Harris. Et comme vous allez le voir, le journaliste ne craint pas d'afficher sa préférence... Start the count pour une interview fleuve.
Merci de prendre le temps pour cette interview en plein sprint final vers la présidentielle. Commençons par revenir sur ce qui t'a amené ici, à savoir la création en 2020 de ton podcast La Chute. Peux-tu nous retracer l'histoire du projet ?
Tout a commencé sur Twitter. J'ai toujours plus ou moins commenté la politique américaine sur mes réseaux mais d'année en année, ça m'intéressait moins, alors j'ai préféré parler d'autre chose. Puis 2020 est arrivé et j'ai senti monter dans ma timeline une sorte d'angoisse très forte, à la fois de mes abonnés comme des gens que je suivais, principalement Français, sur le fait que Joe Biden allait perdre. C'était d'ailleurs largement repris et partagé dans le monde du pari, je sais que beaucoup ont perdu pas mal d'argent là-dessus. Cette ambiance anxiogène était basée sur la manière dont ces infos étaient traitées dans les médias français. Il y a un terme pour ça en anglais : "bed wetting", faire pipi au lit. Or, cela ne correspondait pas du tout aux données que j'avais, à mon expérience, à ce que me disaient mes contacts (y compris dans le camp républicain), ou à ce que je voyais sur le terrain. J'ai donc commencé à tweeter pour expliquer la situation aux gens, effectuer un debunking quotidien sur ce qui était dit, et tenter de les rassurer.
En décembre 2020, j'ai décidé de passer à la vitesse supérieure avec un podcast, pour deux raisons. D'abord, c'était épuisant de ne faire ça que sur Twitter. Tous les matins, j'écrivais sur mon téléphone ce que j'appelais un récap' des événements de la nuit et à venir, qui montait parfois jusqu'à 30-40 tweets. Ensuite, parce qu'à force de passer du temps, par mon parcours de journaliste, sur les divers réseaux de droite extrême, MAGA (Make America Great Again) et autres, je voyais venir quelque chose. Donc aussi pour l'aspect challenge, parce que je n'en avais jamais fait, j'ai fini par lancer un podcast, le 20 décembre. Je l'ai appelé La Chute parce qu'on s'apprêtait à vivre la chute de Donald Trump, mais à travers lui, l'autre option, c'était la chute de la démocratie américaine. D'autant qu'à cette période, Donald Trump était dos au mur. Et on l'a vu à plusieurs reprises lors de son mandat : c'est dans ces moments-là qu'il est le plus dangereux.
Le premier épisode qui a tout lancé
Après cela, ce projet, comme la situation politique, évolue.
J'ai commencé par faire un podcast quotidien, puis est arrivé le 6 janvier [et l'assaut du Capitole à Washington par des sympathisants de Trump contestant le résultat des élections]. J'ai donc enchaîné avec une deuxième saison pour poursuivre l'enquête à un moment où ça n'intéressait plus personne. Mais plutôt que de continuer en 100% audio, j'ai basculé sur YouTube, pour pouvoir notamment montrer des documents. J'étais le seul à le faire. C'est d'ailleurs amusant de voir des infos qu'on a sorties dans l'émission faire aujourd'hui partie du dossier [du procureur spécial] Jack Smith.
“Une de mes motivations, c'était de montrer à mes fils [...] que, quelles que soient les épreuves de la vie, il n'y pas d'âge pour se réinventer.”
Mais tu n'es pas encore complètement satisfait par le format.
C'était une émission à la publication irrégulière. L'idée, c'était de lui donner une régularité, pour devenir le média de référence sur la chronique judiciaire autour de Trump et la campagne électorale. C'est ce qu'est devenu Maintenant Media, un programme quotidien que nous avons lancé en octobre dernier avec mes deux fils.
Une émission qui a très vite fédéré une grande communauté.
C'est un succès qui dépasse tout ce qu'on aurait pu imaginer. On l'a lancé sans aucune attente. À titre personnel, une de mes motivations, c'était de montrer à mes fils Thomas et Cody, qui sont tous deux de jeunes adultes, que, quelles que soient les épreuves de la vie, il n'y a pas d'âge pour se réinventer. Que même à 50 ans, on peut d'un coup décider de faire autre chose. Le podcast, c'était complètement nouveau pour moi, rien ne m'y avait amené jusque-là, mais je voulais qu'ils voient que c'était possible. Pour le reste, le bouche-à-oreille a fonctionné. On a 27 000 abonnés sur la chaîne, on arrive aux cinq millions de vues : c'est une énorme communauté, j'ai même du mal à en saisir la taille et l'engagement. On fait parfois des directs de 5-6 heures et les gens restent avec nous ! D'ailleurs, on s'est rendu compte avec ça de l'importance de la francophonie, puisqu'on est suivis par des gens du monde entier.
Tu t'es senti dépassé par l'ampleur du projet ? Comment on gère dans ce cas-là et vers où souhaitez-vous aller ensuite ?
D'abord, il faut bien comprendre qu'il n'y avait aucune évidence, aucun objectif ni plan. On est d'ailleurs en train de se demander si l'aventure va continuer en 2025. D'autant qu'on a lancé d'autres formats en parallèle, notamment une émission sur la politique française avec Maître Eolas qui s'appelle Sentinelle, une émission sur la musique avec Belkacem Bahlouli, le rédacteur en chef de Rolling Stone France. On s'inscrit maintenant dans cette logique-là, mais ça reste nouveau pour nous. Ça s'est passé comme ça, c'est tout. C'était même tellement surprenant que, au moment de se poser la question de savoir si on allait faire "all-in" là-dessus, on a vu qu'il y avait une vraie demande et qu'il fallait y répondre. Pas pour des raisons économiques – c'est très dur de vivre d'un podcast, qui plus est dans un secteur de niche – mais parce qu'il y avait cet intérêt et que j'avais des choses à raconter.
“Les journalistes d'enquête [...] neutres, ce n'est pas vrai, ça ne fonctionne pas.”
Avec un regard précis, partisan, contre Donald Trump et les valeurs qu'il véhicule.
Je suis très clair sur ma position pro-démocratie – d'ailleurs, je dis bien "pro-démocratie" et pas "pro-démocrate", ce n'est pas la même chose – et sur le danger que représente Donald Trump. Je trouve même ça plus sain de lever cette ambiguïté selon laquelle les journalistes d'enquête doivent rester neutres : ce n'est pas vrai, ça ne fonctionne pas, je ne l'ai jamais vu dans ce métier pendant vingt ans. On est toujours conditionné par certaines valeurs. En revanche, j'essaie d'être d'une rigueur absolue dans mon travail, de documenter tout ce que je dis, de partager, de donner accès aux éléments quand c'est possible, ce qui plait énormément. Beaucoup de membres de notre communauté ont découvert des tas d'outils et se sont rendus compte que l'information est plus complexe que ce qu'on pouvait leur raconter dans les médias francophones. Un travail de recherche que je ne m'interdis pas de faire sur des responsables démocrates quand c'est nécessaire... tout en souhaitant ardemment la défaite de Donald Trump.
Est-ce qu'on ne pourrait pas finalement dire que tu joues ton rôle de citoyen américain à part entière ?
Effectivement, je vote et je m'implique dans cette campagne. Pour refaire l'historique, je me suis installé aux États-Unis à la fin des années 1990 et j'ai rapidement eu ma "Carte verte" [la fameuse Green Card, qui donne le droit de vivre et travailler sur le sol américain de façon permanente, NDLR]. Ça me qualifiait pour devenir citoyen, mais pendant très longtemps, je n'ai pas fait la demande. J'ai fini par le faire pour Thomas, mon premier fils né en France. Pour lui et son avenir, c'était plus simple si je bénéficiais de la double nationalité. Ironiquement, c'est arrivé sous Donald Trump – j'ai une lettre signée de son nom – et j'ai pu voter pour la première fois en 2020, pour Joe Biden. Donc pour moi, c'est une situation particulière de raconter la politique américaine à des spectateurs francophones du monde, tout en sachant que ce qui est en train de se passer va impacter mon quotidien.
Au sujet de cet impact direct justement... À quel niveau, pour toi, l'arrivée de Donald Trump a changé le rapport aux médias et à l'information aux États-Unis, pour ceux qui la font comme pour ceux qui la consomment ?
Donald Trump a agi comme un accélérateur d'une tendance qui était déjà là, très forte aux États-Unis et qui commençait à se diffuser en France, avec les Gilets Jaunes et autour du Covid, notamment : le doute de l'information dite officielle. Or, pour permettre la montée au pouvoir d'un mouvement populiste, ses grands architectes, en l'occurrence Steve Bannon pour Trump, savent que certains piliers de la société doivent être détruits. La presse en premier lieu puisque c'est elle qui va aller faire du fact checking. C'est d'ailleurs lié à un des premiers souvenirs que j'ai de Trump. En 2015, il vient à Vegas en pleine campagne des primaires républicaines, alors qu'il doit tourner entre 1 et 2% d'intentions de vote – c'est dire le pari fou qu'il a réussi, quand même ! Il se produit dans une toute petite salle au Westgate, donc vraiment rien de sexy, et je décide d'aller le voir, à titre privé, sans demander d'accréditation presse, pour suivre les évolutions de cette droite que je juge dangereuse. Je me retrouve au milieu d'une foule d'environ 200 personnes, pleine de haine contre tout : la société, le pouvoir, les échecs personnels... Et à un moment, Trump invite ce public à se tourner vers les caméras qui filment la scène et à huer ce qu'il appelle les "fake news". C'était nouveau à l'époque, et il a continué à le faire dans ses meetings par la suite. Il était en train de surfer sur un truc complètement fou, de libérer le pire dans la nature humaine. Je ne me suis pas senti en danger personnellement, mais à ce moment-là, j'ai eu peur. Et depuis, on a vu l'évolution. Il est devenu la première source d'informations de sa base, soit environ un tiers des Américains. Donc une fois qu'il a fait exploser le rapport aux médias, il s'est attaqué aux autres gardiens du système. Le nouveau niveau atteint dans cette campagne, c'est "l'ennemi de l'intérieur" – qu'on retrouve d'ailleurs dans la montée au pouvoir d'Hitler – et avant ça, c'étaient les juges, le FBI, soit ceux qui pouvaient enquêter sur lui. L'idée derrière ça, c'est de ne plus pouvoir être contesté. La dernière chose qui reste, ce sont les opposants politiques. C'est pour ça que cette élection est extrêmement importante : s'il revient au pouvoir, il va détruire les derniers garde-fous.
“[Le] point commun [entre] des gens extrêmement riches et des locaux populaires [...], c'est qu'ils allaient voter pour Donald Trump.”
C'est ici qu'on va commencer à faire le lien avec le poker : ce changement dans les mentalités, dans les comportements, tu l'as ressenti aux tables sur lesquelles tu as jouées ces dernières années ?
Bien sûr. En 2016, les analyses de terrain les plus importantes, qui me convainquent que Donald Trump peut gagner, viennent de mes parties de poker. Je parle du monde du cash game live à Vegas, au Texas ou en Oklahoma où j'allais jouer de temps en temps. Il fallait entendre le ressentiment chez ces Américains : une partie ne s'était toujours pas remise de l'élection de Barack Obama, ce président noir. Et quand tu en as six ou sept autour d'une table qui te disent plus ou moins la même chose, tu te rends compte que ça touche toutes les strates de la société. Je me rappelle être allé jouer au Red Rock Casino juste avant l'élection. On est à l'ouest de Vegas, à Summerlin, avec à la fois des gens extrêmement riches et des locaux populaires, et leur point commun, c'est qu'ils allaient voter pour Donald Trump.
Pour combien tu passes une nuit au Trump Hotel ?
Donald Trump, justement, a une histoire ambivalente avec Vegas, puisque sa Trump Tower est un des rares hôtels de la ville à ne pas avoir de casino. Tu sais pourquoi ?
J'avais commencé à travailler là-dessus. On a même fait cette année une vidéo review du Trump Hotel, qui est, soyons clairs, un établissement assez pitoyable, qui a pris un sacré coup de vieux et n'a jamais été à la hauteur en termes de service. Alors ce n'était, soit-disant, que la première tour du plan originel. Il devait ensuite y en avoir une deuxième puis une troisième, mais ça ne s'est jamais fait. Deux versions tournent autour de la création de cet hôtel. Dans les deux cas, Donald Trump fait bien la demande auprès de la Gaming Commission pour implanter un casino. La belle histoire, celle qu'on a envie de croire mais que je n'ai pas pu vérifier, c'est que la commission a refusé après avoir enquêté sur les investisseurs de Trump pour ses hôtels à Atlantic City, possiblement liés au crime organisé. La version qui me parait plus probable, c'est que Trump est alors en guerre avec Steve Wynn, le dieu de Vegas à ce moment-là [plus ou moins caricaturé par le personnage incarné par Andy Garcia dans Ocean's Eleven, NDLR]. Le Mirage et le Bellagio c'est lui, et plus tard le Wynn et le Encore. L'opposition à Trump au sein de la Gaming Commission aurait ainsi été menée en bonne partie par Steve Wynn.
“Donald Trump est devenu une caricature de lui-même. Il est prévisible. [...] Ses bluffs, tu les vois arriver à des kilomètres.”
En parlant d'opposition, il est temps de rentrer dans le vif du sujet : qui sortirait vainqueur d'un heads-up entre Donald Trump et son adversaire démocrate à la présidentielle Kamala Harris ?
Ce qui sortirait perdant, ce serait la démocratie américaine... Tu m'aurais posé la question en 2016, je t'aurais dit que personne n'aurait pu gagner contre Trump. Il aurait battu tout le monde, à part Barack Obama, et encore. D'abord, et c'est la principale différence avec 2024, parce que personne ne le connaissait. Il n'avait pas encore été jugé dans le cadre politique, il représentait le mythe de l'outsider à l'américaine. En plus, intellectuellement, il avait un vrai talent dans l'art du duel, il faut reconnaître ça. Aujourd'hui, objectivement, je vois plutôt Harris gagner, parce que Donald Trump est devenu une caricature de lui-même. Il est prévisible, ce qui n'est jamais bon au poker ; il joue full emotions, c'est-à-dire qu'il se contente peu ou prou de faire la même chose à chaque fois. Ses bluffs, tu les vois arriver à des kilomètres... Et s'il est plus facile à lire, il est plus facile à contrer. Après, Kamala a aussi ses qualités, avec une approche différente. Dans un contexte de sortie de crise, elle amène une vision optimiste. C'est devenu une force, parce que les Américains sont un peuple optimiste, ils ont envie de s'inscrire dans le futur. Mais pour gagner, elle doit aussi s'appuyer sur les faiblesses de son adversaire. Et Trump, cette année, est plus facile à battre.
Le partage des liquidités autour du poker en ligne aux États-Unis est un sujet épineux et complexe, avec seulement trois États réunis à l'heure actuelle (Nevada, New Jersey et Michigan). Est-ce que Trump comme Harris ont des projets politiques à ce niveau-là ?
C'est sur des sujets comme ça qu'on se rend bien compte à quel point les États-Unis sont un pays de lobbies : il n'y a pas de lobbying organisé autour de la question du poker en ligne, ou très peu. Les casinos sont en général opposés à ça, pour des raisons plus ou moins sensées – souvent moins que plus d'ailleurs. D'autant qu'en parallèle, le pari en ligne légal est en train d'exploser partout. Donc quand des grandes compagnies comme Caesars ou MGM veulent quelque chose, ils arrivent à le faire passer. Mais pour le poker, il n'y a pas suffisamment de pouvoir ni d'élan. Et que ce soit chez Trump ou Harris, je n'ai rien vu passer sur le sujet.
À l'inverse, Trump sait aussi se faire des copains, comme un certain Dan Weinman qui, l'été de son titre de Champion du Monde WSOP, s'est envoyé un parcours de golf avec l'ancien président (photo ci-dessus). Le bon jouer de poker américain est-il forcément Républicain ?
Il est plutôt libertarien, anti-système. Il ne veut pas payer d'impôts, pas de contrôle fédéral, ce qui est un héritage lointain du far-west. Donc quand Trump arrive en 2016 en se présentant, justement, comme le candidat anti-système, la plupart des joueurs de poker ont eu une appétence naturelle vers lui. Mais pas nécessairement parce qu'il est Républicain : il aurait été Démocrate, ça aurait été la même.
“Dans sa diversité, dans sa richesse, [Las Vegas] est une ville super intéressante [...], sous-estimée.”
Parlons plus globalement du Nevada, traditionnellement considéré comme un Swing State, l'un de ces États-clés capables de pencher vers un camp comme un autre. Comment tu vois les choses cette année ?
Pour resituer, au Nevada, les trois quarts des électeurs sont à Vegas, une petite partie est à Reno et le reste c'est grosso modo un grand désert. Je l'ai traversé récemment pour aller faire du cash game du côté du Lake Tahoe [à la frontière avec la Californie], il n'y a rien ! C'est la misère absolue et, au milieu de tout ça, tu vois des drapeaux Trump. C'est donc à Clark County, le comté de Vegas, que va se jouer l'élection. Certains experts américains calculent ce qu'ils appellent le Vote Power Index (VPI), un indice censé déterminer l'endroit où ton bulletin de vote individuel a le plus de chance de faire basculer l'élection. Dans plusieurs classements, Las Vegas est numéro 1 ou 2 ! Ça s'explique par le fait que c'est une ville complètement éclatée, avec une énorme industrie de services, donc une présence très importante des syndicats, qui font un énorme travail de terrain pour soutenir la victoire de Kamala Harris. Cela se complète avec de nombreux quartiers populaires, majoritairement latinos. Et, de l'autre côté du spectre, on a aussi une population extrêmement riche, plutôt républicaine, qui vient de Californie, ce qui s'est accentué pendant et juste après le Covid. Un papier était paru il y a deux ou trois ans, qui disait que si on voulait voir à quoi allait ressembler l'Amérique dans vingt ans, il fallait regarder du côté de Vegas. En résumé, c'est une ville qui représente un grand laboratoire au niveau de la diversité ethnique, avec notamment beaucoup de représentants de la communauté asiatique. Ces tendances-là, elles se recoupent au niveau électoral. Ce qui explique que tout le monde vient à Vegas : en quelques jours, on a le droit à Bill Clinton, Barack Obama, Kamala Harris, J.D. Vance, Donald Trump, Jill Biden, une deuxième visite de Harris et Tim Walz... En plus des publicités sur YouTube, à la TV... : on est submergés par l'élection, on ne peut pas y échapper.
Dans ta première interview chez nous à l'occasion des WSOP 2014 (photo), tu disais "avoir fait le tour du Texas" après une quinzaine d'années là-bas. Tu vis à Las Vegas depuis 2013. Cette ville continue de te surprendre ?
Complètement. Dans sa diversité, dans sa richesse, c'est une ville super intéressante. Elle est sous-estimée parce qu'on la résume trop souvent au Strip. Je suis bien ici, je n'ai pas l'impression d'avoir fait mon temps. Et comment partir d'une ville où, un mois par an, ça devient notre colonie de vacances ? C'est quand même pratique d'être sur place, de pouvoir aller jouer les WSOP... lorsqu'on a le temps.
Ce temps, justement, tu arrives à le trouver aujourd'hui ?
C'est ma difficulté principale. Le Main Event de cet été, je ne sais même pas par quel miracle j'ai réussi à le jouer. Là je vois arriver le WPT au Wynn, et je me dis :'Tiens, ce serait sympa d'y aller après six mois sans faire de tournoi'. Mais avec toutes les procédures qui vont êtres lancées, je ne suis même pas certain qu'en décembre le souffle de l'élection sera complètement retombé.
“Le poker est essentiel à ma santé mentale.”
Et entre ton bracelet WSOP en 2018 et le Main Event cet été, tu as gardé le poker dans ta vie ?
En fait, le poker est essentiel à ma santé mentale. J'ai commencé à jouer alors que j'étais journaliste d'enquête, pour faire en sorte que mon esprit décroche et parte sur autre chose. Je laissais mon boulot de côté, pour ne pas me faire envahir la nuit. Le poker a donc joué ce rôle et continue de le jouer, même ces derniers temps où je dors très peu. De temps en temps, je dis à ma femme : 'Désolé, il faut que j'aille jouer, que je parte pour 4-5 heures', qui se transforment souvent en 10-12 heures... J'en ai besoin quand je me sens en surchauffe. Peu importe les limites que je joue, l'endroit où je suis, je m'en fous : je fais l'effort de me concentrer à 100% sur la partie, de réfléchir à chaque play et d'être dans le moment. Le poker me permet aussi de ne pas vivre dans une bulle. Ce qui est dangereux quand on fait le travail que je fais, c'est de travailler par biais de confirmation. Me retrouver à une table de poker, c'est en quelque sorte mon reality check. Je ne prends pas de casque, j'y vais pour passer plusieurs heures avec des Américains. Ce qui est beau en plus à Vegas, c'est qu'ils viennent de partout, regs comme visiteurs. J'écoute les conversations et je prends la température.
Tu joues quoi et où la plupart du temps ?
Je fais essentiellement du cash game live. Pour des raisons pratiques, j'ai beaucoup joué la 2/5 $ au Caesars, qui est fermée actuellement. À part ça, ça dépend : je vais du Horseshoe au Wynn en passant par le Bellagio. Je joue surtout où il y a de la place. Je n'ai déjà pas beaucoup de temps, je ne veux pas en plus attendre cinq heures pour avoir une table. Donc je me retrouve en 2/5 $, 5/10 $ ou 10/20 $ en fonction de ce qui est dispo. De temps en temps, je vais voir ce qui se trame sur WSOP.com, par exemple pas plus tard qu'hier. Sauf que je suis toujours sur mon PC et en même temps je reçois des notifications : Donald Trump est en meeting à tel endroit, il se passe ça... Je n'arrive pas à décrocher parce que je reste dans le même environnement. Heureusement, vous, Winamax, me permettez de vivre ça par procuration : hier soir, j'ai terminé de bosser très tard, mais j'ai quand même regardé en mode "Premiere" l'épisode 5 de la nouvelle saison de Dans la Tête d'un Pro avec Davidi Kitai. Je continue de consommer du poker au quotidien, des vlogs, des tournois : c'est ma récréation de fin de journée avant d'aller me coucher.
On t'a donc revu cet été sur le Main Event des WSOP, sur lequel tu es entré dans les places payées pour la première fois (902e sur 10 112 joueurs pour 22 500 $). J'imagine que c'était un de tes objectifs poker. Tu en as d'autres ?
Déjà, j'ai adoré cette expérience du Main Event ! Comment ne pas aimer le Main Event ? Ce tournoi, quand tu le deep run, ça te donne envie de recommencer pour tenter de faire encore mieux l'année suivante. À côté de ça, en 2018, l'année où je prends mon bracelet, je ne passe pas loin du doublé puisque je termine 11e du Tag Team à 1 000 $. Donc forcément, je me dis 'OK, j'ai gagné un bracelet, essayons d'en gagner un deuxième.' Ça me ferait énormément plaisir. Ne serait-ce que pour me prouver quelque chose, voir s'il y avait là-dedans un peu plus que de la chance. Pour ça, j'attends l'année où j'aurai du temps à consacrer aux WSOP, où je ferai un vrai programme avec plusieurs tournois. Parce que cet été, je n'ai joué que deux events. J'ai cash les deux, certes, mais ce n'est pas suffisant pour nourrir de réelles ambitions.
Ce qui nous amène à la dernière question. Que choisis-tu entre gagner le Main Event des WSOP et la victoire de Kamala Harris ?
Facile : la victoire de Kamala Harris. Parce que les enjeux sont tellements importants et dépassent de loin ma petite vie confortable. Il n'y a pas photo.
Merci beaucoup William et bonne chance dans cette dernière ligne droite !
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