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[ITW Deepstack] Fabrice Bigot, quand la science s’en mêle

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Pleins phares sur la méthode savante du jeune joueur français pour atteindre les sommets du poker mondial.

Fabrice Bigot Facebook

Il fait partie de cette nouvelle génération de joueurs qui ne laissent que peu de place à l’à-peu-près. Outre les aspects techniques du jeu qu’il travaille frénétiquement, Fabrice Bigot a mis en place une discipline de vie rigoureuse et réfléchie, destinée à le mener à l’excellence. Une méthode méticuleuse qui semble porter ses fruits puisque depuis un an et demi, ce joueur que l’on connait sous le pseudo de "yepaki" aux tables de Winamax collectionne les lignes Hendon Mob, avec en apothéose la 3e place de l’EPT Paris en février dernier pour plus d'un demi-million d'euros. Rencontre avec un joueur d'un nouveau type.

Ta première partie de poker date de 2016. Comment as-tu commencé ta carrière ?

À l'époque, de manière insidieuse, je sentais qu’il me manquait des sensations d’adrénaline et de réflexions stratégiques que j’avais pu connaitre sur des compétitions de jeux vidéo. J'avais mis un peu tout ça de côté, car j’étais très concentré sur mes études de droit. Je ne sais pas si c’est de manière intuitive ou volontaire, mais je me suis plongé dans la quête de ces sensations que j’avais perdues. Ça ne pouvait plus se faire dans les jeux vidéo, parce que j’avais besoin de quelque chose de plus subtil, et de plus stimulant intellectuellement. Et un peu par hasard, je me suis retrouvé à jouer 15 € sur un site de jeu en ligne. Je les ai perdus, puis j’ai remis 15 €, que j’ai à nouveau perdus... Et là, j’ai eu un déclic : j’ai pensé à mes parents et à l’idée qu’il était impossible de leur annoncer que je m’étais broke. Du coup, je me suis dit que je n’avais pas d’autre choix que d’être bon !

Étonnant ! Tu ne t’es pas dit au contraire qu’il valait mieux arrêter les frais ?

Pas du tout ! Le lendemain de mes pertes, j’ai foncé à la bibliothèque et j'ai demandé ce qu’ils avaient sur le poker : je suis ressorti avec cinq livres. Deux mois plus tard, je gagnais mon premier tournoi à 2 € : c’était parti ! Je me suis donné un an pour voir si ça allait le faire. En revanche, je savais que si ça se passait mal, je retournerai directement sur les bancs de la fac. J’ai pris un appart à Londres, et là j’ai vécu des soirées moins sympas que d’autres : les sessions ne se passaient pas toujours très bien et c'était très difficile à gérer émotionnellement. Au début, il faut comprendre que tu n’as aucun recul sur les choses, tu cours simplement après l’argent parce que c’est la seule chose qui permet de valider ta prise de décision. À la fin de la première année, mes résultats n’étaient pas mirobolants, mais ils me permettaient de pouvoir continuer à jouer. Sauf que je ne voulais pas juste m’en sortir, je voulais me surpasser ! Je travaillais la technique comme un fou, mais je savais que ce n’était pas suffisant. Grâce à mes parents qui étaient très branchés sur le développement personnel, j’avais déjà tout lu sur le sujet et je savais pertinemment qu’il me manquait un coach. Et c’est dans le domaine olympique, en fédération, que j’ai trouvé Franck Larrey. Un type extraordinaire qui m’a montré à quel point je pouvais progresser et qui m’accompagne depuis maintenant quelques années.

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Il se passe finalement cinq ans avant que tu réalises tes premières perfs en live, en 2021. Est-ce que tu penses qu’il y a un moment où l'on est prêt à gagner ?

Le poker est un sport de haut niveau, dans la mesure où la compétition mentale rencontre la compétition physique. Pour moi, on ne peut pas l’approcher autrement que comme un athlète. Je pense que c’est le process qu’on met en place qui nous mène à la performance. Par exemple, chez moi, il y a une partie d’apprentissage technique, une partie d’apprentissage mental, mais aussi une grande partie liée au bien-être personnel qui intègre le sport, la méditation, la nutrition, le yoga, le sommeil, la gestion des émotions et plein d’autres choses. Quand tout ça est aligné, je sais que je suis prêt à gagner des grosses sommes. En revanche, quand il y a un déséquilibre sur certains de ces aspects, la réussite est impossible selon moi, car la pression est trop importante et il y a trop de paramètres ingérables qui viennent se greffer - si on ne les a pas travaillés au préalable. En gros, gagner un tournoi sur deux jours, tout le monde peut le faire ; enchaîner des semaines de tournois qui ressemblent à de véritables marathons, là c’est vraiment ton entraînement et ta rigueur qui payent.

Si je comprends bien, tu mets en place un entraînement quotidien qui te prépare à gagner de très gros tournois avec de très grosses sommes à la clé. Pourtant tu as joué en mars le Marrakech Poker Open, un festival avec des tournois à middle buy-in, où tu termines certes 4e du High Roller et 3e du Super High Roller, mais pour des montants moins importants (environ 18 200 $ et 9 600 $). Quel est l’intérêt pour toi de jouer ce genre de festivals ?

Sur certains tournois, je considère que je suis en phase d’apprentissage, et, sur d’autres, en compétition. Si le process est le même, c’est-à-dire que je ne change rien à mon entrainement au quotidien, mon objectif de réalisation diffère. Ça n’a rien à voir avec mon ancienne approche où je mettais la même énergie et le même stress dans chacune des compétitions que je jouais. Aujourd’hui, j’ai plus de recul, et je profite justement de ces tournois « d’entraînement » pour tester des choses, un peu à la manière d’un scientifique qui sort de son laboratoire pour faire des essais cliniques. Et si ça marche bien, j’intègre ma nouvelle découverte dans ma prochaine compétition.

Alors que travailles-tu exactement dans ton laboratoire ?

C’est un vaste sujet parce que je bosse sur énormément de points. Mais outre la technicité du jeu, il y a tous les aspects de la performance : analyse de sommeil, biométrie corporelle, analyses de sang, analyses de data que je collecte grâce à une bague qui collecte les données de mon métabolisme... Je suis aussi en contact avec une start-up qui travaille sur des programmes de nutrition personnalisés qui prennent en compte ta biométrie afin d’optimiser au maximum ce que tu manges par rapport à tes besoins.

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Visiblement, il n’y a pas de place pour l’improvisation…

Si, bien sûr ! Je ne suis pas une machine contrairement à ce qu’on pourrait croire. Il y a des gens qui me disent : « Mais comment tu peux t’infliger tout ça ? » Alors qu'en fait, je ne m’inflige rien du tout, parce que j’adore ça ! Et j’irai même plus loin : j’ai appris à prendre du plaisir à chaque moment de ma journée, quand je cours, quand j’étudie où quand je mange. Plus j’ai l’impression d’être tiré vers le haut, d’être la meilleure version de moi-même, plus j’ai de satisfactions et plus je suis heureux. Néanmoins, ça ne m’empêche pas d’être beaucoup plus à l’écoute de ce que je ressens. Par exemple, après avoir récemment bouclé une série de tournois online, j’ai senti que j’avais besoin de décrocher et d’aller passer du temps avec ma famille, mes amis et mon chat. Je savais que d’aller directement à Cannes pour les WSOPC serait absolument contre-productif parce que je n’avais aucune envie de jouer. Je ne me suis pas obstiné dans une rigueur de travail, mais je me suis concentré sur des valeurs qui sont très importantes pour moi.

C’est intéressant que tu parles de valeurs, car dans ce milieu je pense qu’il est facile de perdre pied entre ce qui est important et ce qui l’est moins. Comment restes-tu connecté avec tes valeurs ? Et quelles sont-elles ?

Je me suis fixé des règles. Par exemple, je ne parle jamais de ce que je gagne devant mes proches qui ne jouent pas au poker, et tu ne me verras jamais poster mes résultats, parce que je considère que tu peux faire rêver les gens. Mais tu n’es pas obligé de le faire avec des chiffres car c’est un peu comme la loterie, c’est faire courir les gens derrière quelque chose qui n’existe pas. Surtout que leur perception de la façon dont je l’ai obtenu ne sera pas la même que la mienne : ils ne verront pas les 2 500 heures de travail mais uniquement le résultat. Et ça, je pense que ce n’est pas une bonne chose. De manière plus globale, depuis que j’ai trouvé un équilibre financier, j’ai réfléchi profondément à ce qui était important pour moi et c’est ce qui me booste au quotidien. Tout ce qui est lié à l’écologie, à la planète me passionne. Je vais investir dans un fond d’investissement qui a pour but de renforcer les mega-tendances au niveau écologique. Je vais travailler sur les transitions énergétiques, le lancement de fermes éoliennes et de panneaux photovoltaïques et plein d’autres choses passionnantes. Si je n’avais pas tous ces projets à côté, je ne suis pas sûr que j’aurais autant envie de jouer.

Et comment tu concilie cela avec tes déplacements ? Parce que la vie d’un joueur de poker, ce n'est pas très écolo  !

Eh bien, tu serais surprise de savoir que je limite au maximum mes trajets en avion. Parce qu’effectivement tu as raison, je suis déjà obligé de le prendre plus que la plupart des gens mais quand je peux ne pas le faire, je n’hésite pas. Pour venir à Cannes, j’ai fait Londres - Paris - Cannes en train ! Pour la nourriture c’est la même chose, je suis vegan et c’est aussi ma façon à moi d'avoir un impact sur la planète à un micro-niveau.

Le poker prend donc moins de place dans ta vie ?

Non, pas pour l’instant. J’ai des objectifs, je m’entoure de gens qui ont la même approche que moi et on échange beaucoup pour atteindre ces objectifs.

Bigot WSOP
Alors, quel est ton but dans le poker ?

L’objectif est la réalisation de mon potentiel. Tout ce que je fais maintenant, tout le travail que j’accomplis, c’est pour avoir un jour le niveau pour jouer les tournois high-stakes en étant compétitif.

En ligne ou en live ?

En live. Le poker en ligne me permet de m’entrainer, c’est un peu comme une rampe de lancement. Je joue tous les tournois réguliers à 1 000 €, c’est un investissement mais ça me permet de côtoyer les plus grands.

Il y a des joueurs que tu voudrais affronter en particulier ?

Il y a des joueurs que j’aimerais simplement rencontrer ! Par exemple Fedor Holz, que je trouve incroyable. Sa perception de la recherche de potentiel à son âge est fascinante. Il a mis très peu de temps à atteindre un très haut niveau de jeu, il a détruit tout le monde techniquement et ensuite au lieu d’être un feu de paille, il a lancé trois affaires, il a continué à étudier énormément, mais il a aussi une vie de couple, il fait du yoga, et il est à fond sur le bien-être. Il est certain qu’il y a peu de joueurs aussi épanouis car ça demande beaucoup de sacrifices d’arriver à un tel niveau.

Les WSOP vont bientôt commencer. Quel y sera ton programme et comment tu le prépares?

Je pars avec Alan [Goasdoue, NDLR] et on joue tout le programme pendant 55 jours. Très honnêtement, je ne prépare pas vraiment Vegas dans la mesure où ce que je mets en place au quotidien me permet d’arriver aux WSOP au top physiquement et mentalement. En revanche, ce qui est particulièrement intéressant à Vegas, c’est que ça va me permettre d’affiner mes perceptions corporelles, pour savoir quand poser des breaks, quand recharger les batteries et trouver la meilleure gestion macro possible. Mais il est certain que pendant toutes ces semaines, je vais être très rigoureux sur ma discipline quotidienne : course à pied, nourriture, pas d’alcool, yoga nidra (c’est une forme de yoga qui permet de se recharger en dopamine sans dormir), méditation…

Et l’avenir au sens plus large, c’est quoi pour toi ?

L’avenir, c’est d’être capable de me créer un environnement qui me met au contact de gens passionnants.

Interview (!) et photos : Caroline Darcourt

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