[ITW Deepstack] dum_trip, pro de A à Z
Par Général
dansDevenir joueur pro et membre du Winamax Stream Gang en seulement cinq ans de poker ? C'est l'histoire d'Adrien Dumont. Le globe-trotter se raconte en long et en large dans un entretien XXL.
Du jeu récréatif sur des Expresso de fin de soirée à joueur pro exemplaire, il n’y a parfois qu’un pas. Adrien Dumont, membre du Winamax Stream Gang, en est un parfait exemple, à l’orée d’une carrière qu’il planifie sans ambitions démesurées. Cette interview au long cours vous raconte l’ascension d’un passionné, qui a su faire ce qu’il fallait pour franchir des paliers malgré des moments difficiles, aussi bien en tant que joueur qu’en tant que streamer. dum_trip, c’est à toi !
Pour commencer, peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Adrien Dumont, je suis originaire de Saint-Étienne, dans la Loire. Je suis né en 1995, j’ai 29 ans. Depuis bientôt deux ans, je suis expatrié au Canada avec ma copine. À la base, j'ai fait des études pour devenir vétérinaire, puis je suis passé par un DUT Biologie, et ensuite j'ai dérivé sur un Master d’architecture en Belgique. Pendant ma troisième année, je travaillais pour un professeur, donc j'étais architecte pour lui, et j'avais des petits projets persos à côté dans le secteur. Et sinon, je travaillais en tant que sauveteur en mer les étés sur la côte dans le sud. Puis le COVID est arrivé : c'est là que je me suis mis à jouer en ligne.
Comment se passent tes débuts ?
Cela a commencé juste avant le premier confinement, le soir du Nouvel An. Je suis à la montagne avec un de mes meilleurs amis, et quand il a un petit coup dans le nez, il aime bien lancer des Expresso. Il me montre le format, je trouve ça excellent, surtout avec l’euphorie du moment : c'est vraiment cool de “gamble” 10 € en 10 minutes ! Après les vacances, il me dit : "Vas-y, fais-toi un petit Expresso…” Et donc, je dépose 20 €, je fais quatre Expresso à 5 €, et ça me prend à peu près une demi-heure pour les perdre. Après, vu que j'avais bloqué mes limites de dépôt, j'ai dû attendre une semaine complète pour pouvoir rejouer 20 € la semaine suivante. Je me dit : c'est bien marrant ce jeu, mais j'aimerais bien pouvoir jouer plus souvent et éviter de perdre de l'argent. C'est à ce moment que je commence à regarder des vidéos sur Internet, et notamment celles de Kill Tilt, que je dévore. Le confinement arrive en mars, et là je découvre l'importance du bankroll management, qu’il vaut mieux déposer une bonne somme et jouer des petits buy-ins. Donc je dépose 150 €, mais je crois que je me “broke” en un mois en jouant des MTT à 25 ou 50 centimes, des Tridents et des Kill The Fish. Je redépose 150 €, et ça se passe mieux… Pour l'anecdote, pendant ce confinement, il y avait énormément d'affluence sur les sites de poker. Et toutes les deux heures, il y a des freerolls sur Wina, qui affichent tous complets. Donc avec ma copine Camille, qui elle aussi vient de découvrir le poker, on met une alarme cinq minutes avant le début des inscriptions, et on spamme le bouton "S'inscrire" pour avoir une place. Bien drôle.
Tu fais donc partie de ces joueurs qui ont profité du confinement pour construire leur bankroll et se mettre sérieusement au poker...
Tout à fait. J'ai clairement capitalisé là-dessus. Je me souviens qu’à l'époque, on était sur les Winamax Series avec le thème des abeilles, celles où Pierre Calamusa avait deep run. C'est vraiment le moment où je me suis mis dans le poker : je joue les Kill The Fish à 1 € et à côté, j’ai mon mémoire d'architecture à écrire, et des projets en télétravail pour l'architecte avec qui je bosse en Belgique. Je fais le confinement chez les parents de ma conjointe, et je travaille aussi pour son père, en faisant des déménagements, des débarras. Le poker n'est pas du tout mon activité principale, mais c'est bien mon loisir principal.
“Mon rêve de devenir architecte se confrontait à une réalité du métier qui n'était pas du tout celle que j'envisageais. J’avais besoin de liberté”
À partir de quel moment le poker devient vraiment ton gagne-pain ?
Après le confinement, j'ai continué à jouer les soirs en semaine, plutôt que de sortir. En novembre, pendant le Pokus, je gagne un sat à 1 € pour un tournoi à 5 €, et je prends finalement 3 500 € après deal. À l'époque, j'avais 500 € de bankroll… Un gros, gros pas en avant ! Bon, c'est clairement de la chance, mais je suis très, très content. Et plutôt que de tout reperdre comme cela a pu arriver avant, j’investis dans une Masterclass Kill Tilt. Je continue à jouer de manière assez rigoureuse, jusqu'à la fin de mon Master. Et durant cette dernière année, je fais un stage. C'est important, tu vas comprendre pourquoi. En fait, j'ai toujours rêvé de devenir un architecte assez reconnu, d'avoir ma propre agence, d'avoir de beaux projets. J'avais toujours plein d'ambition dans ce milieu-là, j'étais très impliqué dans mes études et je m'en sortais bien. Sauf que je fais mon stage chez un mec qui était exactement ce que je voulais devenir : c'est-à-dire un architecte de 30 ans, avec une très jolie femme, une belle maison, qui gagne bien sa vie, avec sa propre agence et des clients de partout. Et là, je réalise qu’il travaille dix heures par jour, que des clients l'appellent même pendant ses vacances, qu’il a des assurances sur le dos... Mon rêve se confronte à une réalité du métier qui n'est pas du tout celle que j'envisageais. Ce n'est pas ce que je veux faire de ma vie : j'ai besoin de liberté. Je ne voulais pas me pointer tous les matins à 8 heures et finir à 22 heures parce que je suis charrette. Du coup, ça m'a fait un sacré électrochoc.
Quelle a été la suite ?
J'ai quand même validé mon Master 2. Ensuite, pour faire architecte, il faut une petite formation supplémentaire qui passe par l'inscription à l'Ordre des architectes en France. Et pour ça, il faut faire six mois d'alternance en école d'architecture. Je suis allé à la journée d'accueil en septembre 2021 et là... la nausée. Je me demandais ce que je faisais ici. J'ai toujours fait des études parce qu'on m'a dit qu'il fallait le faire, cela faisait neuf ans que j'avais le bac, et j'étais bardé de diplômes. Mais d'un coup, tout ça n'avait plus de sens : ce qui me plaisait, c'était le poker. Je commençais à gagner un petit peu, je devais avoir 7 000 ou 8 000 € de bankroll. Je me suis dit : “Tu as toujours suivi ce qu'on t'a conseillé de faire. Maintenant, profite de tes rêves. Si tu ne le fais pas maintenant, tu vas t’enterrer dans une profession dont tu auras du mal à sortir. Laisse- toi un an.” Ce qui me gênait le plus, c’est par rapport à ma mère qui a financé mes études et qui m’a toujours soutenu : cela a été dur de lui annoncer. Mais elle est restée étonnamment calme. J’ai ainsi pu faire ça pendant un an.. En réalité, je n'avais pas le niveau, mais j'avais beaucoup d'énergie et de bonnes intentions.
Tu décides donc de ne pas prendre cette nouvelle carrière à la légère.
Au début, j’étais un petit peu perdu parce que c'est bien beau d'avoir des projets, mais il faut les concrétiser. Je n'avais plus aucune obligation à côté. J'ai effectivement fixé un planning. Et j'ai essayé de faire d’abord des sessions matinales, parce qu’avec ma copine, je me suis dit que le rythme de joueur de poker n’allait pas coller : si je me lève à 11 heures parce que j'ai fini ma session à 2 heures la veille, elle est déjà partie bosser. Et quand elle rentre du boulot à 18 heures, je commence à grind. En fait, la vie sociale, c'est fini. Je vais peut-être gagner un métier, mais je vais perdre une relation. J'ai donc commencé à faire les sessions du matin en 5, 10, 20 €, et le seul 50 € en journée de l'époque, le Shaolin. Et après les sessions, je travaillais le jeu, 2-3 heures par jour. J’ai rencontré quelques joueurs avec lesquels j'ai commencé à bosser, je me suis assez rapidement créé un entourage poker qui m'a permis de progresser. Cela fonctionnait bien parce que je suis passé de 5 000 € de bankroll en octobre 2021 à 15 000 € l'année d'après. Je me suis dit : "J'ai 700 buy-ins, j’ai de quoi vivre, je peux partir avec ça et faire le projet de voyage que j'avais entrepris avec ma copine". On voulait partir au Canada : bad beat, on n'a pas été tiré au sort à temps pour obtenir le permis de séjour. Donc à la fin de son contrat à l'hôpital, on est parti au Costa Rica pendant trois mois.
Comment ça s’est passé là-bas ?
J’ai continué à grind, c'était vraiment trop bien. Le problème, c'est qu’il y avait des coupures d'électricité et en pleine session, à dix tables, plus d'Internet. On était au fond de la jungle, chez un pote allemand qui était fort sympathique mais avec un système qui fonctionnait à l'énergie solaire. Donc quand il ne faisait pas beau pendant trois jours, pas d'électricité, et donc pas de grind ! S'il y avait un peu de soleil mais pas suffisamment, vers minuit, heure française, coupure de Wi-Fi, obligé de lancer le groupe électrogène pour pouvoir finir la session... C'était un peu chaotique. Comme je n’avais toujours pas un niveau suffisant pour en vivre dignement, j'ai perdu une bonne partie de ma roll. Mais il y avait François Pirault qui était encore Team Pro Winamax, et qui m'inspirait beaucoup pour le côté hygiène de vie, travail, organisation. Il disait que ce qui l'aidait à performer aux tables, c'était d’énoncer son thinking process à haute voix, ça lui permettait de voir s'il était en accord avec ce qu'il pensait réellement. Mais je n'arrivais pas à le faire, parce que parler tout seul dans son coin pendant six heures, ça paraît un peu bizarre. Du coup je me suis dit : "Au pire, essaye de streamer comme ça, si tu streames, t'auras des gens qui vont t'écouter et par respect pour eux, je suis sûr que tu continueras à parler et à dire ce que tu penses pendant six heures. Ça te permettra de mieux jouer et en même temps, pourquoi pas créer un petit peu de contenu..." J'ai commencé à streamer dans une chambre d'hôtel au Costa Rica. C'était en décembre 2022. Après, ça s'est mieux passé, j'ai gagné un Series depuis cette chambre d'hôtel, c'était marrant. Puis on est rentré en France pendant deux semaines et je suis arrivé au Canada il y a un an et demi. La boucle est presque bouclée.
Tu as eu la bougeotte ces dernières années.
En fait, j'ai toujours été très mobile du fait d'une famille qui s’est disloquée assez rapidement. Mon père a décidé de partir en Mayenne et, dès mes 10 ans, je prenais souvent le train pour aller le rejoindre là-bas, ou pour aller dans le Nord de la France, au Croisic... Même si ce n'était qu'à l'échelle française, j'ai toujours été très mobile et très à l'aise avec les transports. Après, mes études m'ont emmené en Belgique : pour l’anecdote, Camille est venue essayer de travailler le temps que je finisse mon Master, sauf qu'elle aime le soleil, elle aime les cigales et la pétanque, donc elle a fait une dépression au bout de trois mois, elle ne supportait pas le mauvais temps. Je ne voulais pas la contraindre à être ici pour moi. Elle est partie en Australie en janvier et moi, je l'ai rejointe après cinq mois sans se voir. À partir de là, on a vraiment fait relâche et on a enchaîné avec l'Allemagne, les Pays-Bas, un road trip en Espagne, et au Portugal, un pays magnifique. On a toujours été très très mobiles, c'est quelque chose qui m'anime même si ça colle un petit peu moins avec la rigueur et la routine que j'ai envie de mettre en place pour travailler. Mais j'apprécie énormément découvrir, je suis quelqu'un qui a envie d'être en mouvement.
Finalement, comment arrives-tu à gérer ces deux envies qui ne sont pas forcément compatibles ?
J’ai vraiment été confronté au problème au Costa Rica : je voulais grinder, j’en avais besoin pour continuer à vivre et avoir un salaire. Mais avec ma copine, on avait envie de découvrir, de faire des randonnées, d'aller se balader sur des îles : il a fallu à ce moment-là arriver à dissocier la vie de couple, les voyages et le grind. C'était un peu source de conflit au début puis après, on a réussi à trouver l'équilibre, qu’elle comprenne que j'avais besoin de bosser et que moi, je comprenne qu'il fallait aussi qu'on profite du voyage. Depuis qu’on est au Canada, on gère. C’est sûr que je suis moins performant que si j’étais un grinder basé à Malte, sans vie sociale.
“Je préfère faire une grosse session perdante qu'une session où j'ai gagné de l'argent et mal joué”
Cela ne te dérange pas ?
Je suis là pour avoir cette liberté qui me manquait dans l'architecture. Si j’en reviens à la perdre pour être hyper performant, c'est un peu le chien qui se mord la queue. Flavien Guénan, mon ancien coach, m’expliquait que pour atteindre 80% des résultats, il faut 20% d’efforts mais pour obtenir les 20% suivants, il faut 80% d'efforts supplémentaires. Et comme je n’ai pas l’ambition d'aller jouer les super high-stakes comme Adrián Mateos et les autres, je peux déjà très bien gagner ma vie sans pour autant être full time poker, et perdre les plaisirs qui vont à côté. C’est pour ça que j'essaie un peu de calmer les choses, de me fixer des limites. C’est quelque chose que m’a inculqué ma mère, qui était médecin : son père était radiologue et cancérologue, et il a passé sa vie à bosser, a mis sa famille à l’abri financièrement, mais elle l'a très peu vu, et elle n'a pas voulu reproduire ce schéma. Alors, elle fait du mi-temps et ne gagne pas très bien sa vie, mais elle est très heureuse à côté, elle fait du sport et s'occupe de ses chevaux. C’est ce que je veux reproduire. L'argent n'est pas une fin en soi.
Quel est ton objectif en termes de buy-in moyen ?
Je suis actuellement ABI 30 €, j'ai fait des bonnes Series en septembre, les 4-5 derniers mois ont été excellents. Mon objectif est d’arriver à 70 ou 80 € d’ABI. Mais j’ai failli me broke en octobre dernier quand je suis arrivé sur le “.com”. Il y a des fields de 15 000 joueurs au quotidien et je n’ai pas su m’adapter. Je suis passé de 15 000 € à 2 000 € en trois mois. Je me disais que j’avais fait une grosse faute professionnelle, une erreur de débutant, je n’avais pas été assez réactif sur mon BRM. Je ne me sentais pas bien d’avoir tout foutu en l’air. Je suis reparti de 1 500 € de bankroll début décembre, et Winamax m'a contacté fin décembre : j'ai intégré le Stream Gang en janvier.
Tu comptes jouer le double voire le triple de ton ABI actuel dans le futur. Comment comptes-tu atteindre ce but ?
Dès la première semaine où j'ai décidé de devenir pro, mon objectif était de travailler le jeu régulièrement, d'avoir des routines qui étaient assez cadrées. J'ai des routines sportives on va dire, donc pour le jeu, c'est six heures par semaine, et le stream au moins entre cinq et dix heures par semaine. J'ai aussi un nouveau coach qui arrive, et je suis en train de changer mes méthodes de travail. D'ailleurs, c'est un truc qui est assez paradoxal, mais je prends vraiment du plaisir à regarder mes résultats en termes d’EV plutôt que mes résultats financiers : je préfère faire une grosse session perdante plutôt qu'une session où j'ai gagné de l'argent, mais mal joué. Je dis ça parce que maintenant, j'ai une aisance financière par rapport à mes résultats, mais c'est quelque chose qui me tient vraiment à cœur.
Pour revenir à ta carrière dans son ensemble, tu as donc découvert le poker avec les Expresso, avant de passer aux MTT. As-tu essayé d’autres formats ou variantes ?
Je n’ai jamais vraiment fait de cash game, en revanche j’ai essayé les Double or Nothing au début. J’ai toujours été très proche des contenus Kill Tilt, et à ce moment-là, "Peanuts" avait sorti une traduction d'un livre de Dara O'Kearney, qui s'appelle La stratégie des satellites. Après avoir acheté Le Mental au Poker, j'avais acheté ce bouquin écrit par ce pro qui a construit sa carrière sur les satellites. Il jouait uniquement ce format, il s'était spécialisé là-dedans, et il a réalisé que plein de joueurs de MTT avaient un gros leak à ce sujet, parce que le but en satellite n'est pas de monter un gros stack, c'est juste d'avoir un stack suffisant pour obtenir un ticket, vu que tous les prix sont identiques. Il transformait ses tickets en cash, et c'est comme ça qu'il a gagné sa vie, au lieu d’aller jouer des events live. J'ai donc bossé le format satellite, et j'ai vu qu'en fait, il se rapprochait énormément des Double or Nothing. J'avais mis un petit modèle en place pour voir si c'était possible de gagner sa vie en faisant uniquement ça, et j'ai vu qu'il aurait fallu envoyer un volume colossal, multi-rooms, et qu'en plus de ça, le format était assez limité d'un point de vue stimulation intellectuelle. Je n’ai pas trouvé de plaisir à me dire que le jeu pouvait être “fini.”
Pour parler du live, tu sembles avoir une activité assez limitée dans ce domaine pour l'instant. Tu as des ambitions de ce côté ?
Ça n'a jamais été une priorité, mais c'est quelque chose qui m'attire de plus en plus. À Montréal, on a eu la chance d'avoir deux événements WSOP Circuit, et je suis allé jouer deux fois au casino Playground. Je prends vraiment du plaisir à faire ça, et c’est d'autant plus stimulant pour moi que j'ai un petit côté hyperactif, j'ai toujours joué beaucoup de tables. Jouer en monotable, rester assis pendant deux heures entre chaque pause, c’est un bon exercice pour essayer de me concentrer. Ce qui me fait rêver, c'est de jouer des beaux évènements en rentrant en France. Pas forcément Vegas, parce que j'ai très peur de la variance et très peur de la vie là-bas, je n'aime pas trop le risque. J'ai juste envie d'avoir une vie paisible et tranquille, donc je n'ai pas envie d'aller prendre des gros shots sur des gros buy-ins, des gros fields. Mais par contre, jouer des évènements comme le WPO Bratislava, comme le SISMIX... J'aurai l’occasion de tester grâce au Stream Gang. J'ai vraiment hâte de faire ces évènements. En plus il y a une belle ambiance à côté, ça permet de voyager, donc ça m'attire.
D'autres projets de voyage dans l’immédiat ?
Notre visa de deux ans au Canada expire bientôt : après, Camlle n'aura plus le droit de travailler sur le territoire canadien. On a donc décidé de faire un ultime périple sur la côte ouest, les Rocheuses et Vancouver. Ensuite ce sera la Californie pendant un mois, et on rentre définitivement en Europe. On prévoit de se sédentariser un petit peu, en France ou ailleurs, et donc c'est à ce moment-là que je pourrai avoir plus de présence sur les tournois live. J'espère être là pour le SISMIX l'année prochaine !
“Le Stream Gang ? Cela s’est fait au moment où j'étais le plus mal”
Le Stream Gang, justement. Peux-tu nous raconter comment tu a intégré l’équipe ?
Cela s’est fait au moment où j'étais le plus mal, alors que ça n'allait pas très bien niveau bankroll. Il me restait 3 000 €, dont 1 500 € pour jouer. À ce moment, j'étais très triste, déçu de moi, je m'en voulais de ne pas avoir été rigoureux. J'avais même arrêté de streamer le soir parce qu'il y avait tous les gros streamers, Juanito, zChance, Chotec, et je n'avais qu'une petite audience. Je n'y prenais plus de plaisir. Et Camille m’a dit : "Adrien, déjà que t'es en train de m..... niveau poker, la seule chose que tu faisais bien, c'était de streamer. Il s'agit de continuer.” Elle n'a jamais pris de pincettes avec moi... Je voulais jouer des petits fields pour essayer de remonter ma roll et j'avais commencé à rejouer le matin, j'ai donc streamé à nouveau le matin. Et vu qu’il y a moins de streamers le matin, j'ai gagné en visibilité. Ensuite, je crois que c'est Barth [responsable des contenus stratégiques chez Winamax, NDLR] qui m'a repéré, qui m'a contacté et qui m'a dit : “On aime bien ce que tu fais Adrien, est-ce que tu pourrais faire un stream d'essai ?" Et ça a été le début d'une belle remontada et d'un beau partenariat. Tout s'est super bien passé, et maintenant je prends beaucoup de plaisir à streamer pour Winamax.
Qu'est-ce qui te plaît vraiment dans le fait de streamer, au-delà de jouer ?
L'animation. Toutes proportions gardées, j’aime bien faire le guignol, dire des bêtises. Pendant huit heures, tout seul devant ton ordi, tu perds ce côté social dans le poker. Quand je suis pas en stream je suis souvent sur Discord avec mes copains, on discute, on dit des conneries. Quand je suis en stream, je fais pareil avec les viewers, je prends du plaisir à ça. Il y a aussi le petit côté didactique et pédagogique qui me permet de progresser moi-même, et qui permet également de faire progresser des joueurs qui jouent moins cher que moi ou qui n'ont pas la même pratique du poker. Donc j'aime beaucoup l'échange là-dedans. Et il y a un autre truc qui me plaît, c’est le bagage architectural dont j'ai bénéficié. Il y avait beaucoup d'utilisation de logiciels d'architecture, de graphismes... Pouvoir employer un petit peu ces capacités-là pour créer des overlays, faire un vlog : le côté graphisme m'occupe bien. J'aime bien tout ce qu'il y a autour. Essayer de développer un autre projet en parallèle, ça me plaît. Je suis un petit peu touche-à-tout, je peux partir d’un truc à l’autre. Et une fois que ça commence à fonctionner, j'aime bien arrêter... Mais par exemple, quand j'étais en Belgique pendant le confinement, j'avais également eu pour projet de créer un robot de distribution de cartes au poker. Un robot qui se déplaçait tout seul, qu'on pouvait commander avec le téléphone et qui distribuait les cartes aux joueurs, qui mettait le flop, la turn... C'est un peu dans la même idée. Une fois que j'ai réussi à faire ça, je suis passé à autre chose.
Est-ce que tu essaies de donner une certaine identité à ta chaîne ? Comment tu te définirais en tant que streamer ?
C'est compliqué ! Il y a le côté professionnel que j'essaie d'avoir : vouloir montrer une image différente du poker, que ce n'est pas du gamble, le dissocier des autres jeux d'argent. J'ai envie de montrer que si on a une approche rigoureuse, ça peut fonctionner. Je veux être transparent par rapport à ça, par rapport à mes résultats, comment je ressens la performance. Mais il y a aussi le côté bon enfant, où on va pouvoir faire des touches d'humour sur des choses assez simples, et que ça reste quand même quelque chose de vivant. C'est venu assez naturellement, je n'ai pas de ligne éditoriale claire, mais j'accorde beaucoup d'importance à l'honnêteté, alors j’essaie de faire quelque chose qui me ressemble.
Comment évolue ta communauté depuis que tu fais partie du Stream Gang ?
Je streame plus souvent, donc j'ai un petit peu réduit mon temps de stream sur ma chaîne perso pour allouer du temps à la chaîne de Winamax, et cela m'a rapporté une certaine notoriété sur Twitch. L'audience a évolué mais je sens que c'est quand même cappé, que la progression est limitée à un certain niveau, et puis il y a l'ancienneté et l'omniprésence des streamers comme zChance qui font que c'est dur de se démarquer. Mais après le plaisir reste le même, peu importe l’audience : avec les dix viewers que j'avais au début ou 200 comme j'en ai maintenant, ça reste la même chose.
“Je suis prêt à sacrifier un peu d’EV pour passer un bon moment sur mes streams”
Dans le futur, tu comptes continuer à faire évoluer ton activité de streamer ?
J'aime bien qu'il y ait des petites conneries en vidéo, mais ça me prends plus de temps. Je suis un peu tiraillé entre le fait de faire une bonne animation et proposer un niveau de jeu compétitif. Je crois que je suis en train d'accepter le fait que je ne pourrai pas être hyper compétitif en ce moment, sauf si je me calme. Mais il faudrait être un peu moins dynamique, et je pense que ça ne me correspondrait pas. Donc je suis prêt à sacrifier un peu d’EV pour passer un bon moment.
Sur ta chaîne Youtube, tu as sorti une série de vidéos qui s'appelle Inside the Grind...
Cela vient de ma grand-mère. Début juillet, je suis passé la voir dans le Sud de la France, et elle était très très fière d’avoir un petit-fils architecte. Elle a une photo de moi avec mon diplôme dans sa maison, elle avait 85 ans le jour de ma remise de diplôme à Bruxelles, et elle avait pris l'avion toute seule depuis Marseille, parce que c’était super important pour elle. Malheureusement, quand je suis devenu joueur de poker, elle était beaucoup moins fière, elle disait à ses amis que j’étais encore architecte, car le poker a toujours une connotation négative : les gangsters, le risque de ruine, le hasard... Je voulais contrer cette vision désuète et déconnectée de la réalité, en faisant une série de vidéos qui montrait ce qu'était pour moi la vie d'un joueur professionnel, que c'est en fait basé sur le travail, la rigueur, et la détermination, plus que sur le gamble. J'ai toujours voulu me prémunir des mauvais côtés en étant rigoureux, en surveillant mes résultats, en montrant mon implication, que c'est également du sport, une hygiène de vie… Bref, montrer ce que c'est d'être un grinder, et qu'on arrête de penser que ça se joue dans une cave avec un cigare au bec.
Tu comptes pousser jusqu’où ce projet ?
Dans le monde de Bisounours dans lequel je suis né, je me suis dit que j'allais faire un vlog par semaine, 25 minutes bien montées avec de la musique, que ça allait être une tuerie… Sauf que j'ai mis quatre semaines à faire le premier, ça m'a pris plus de 40 heures ! J'ai découvert le montage, j'ai appris à filmer, il y avait la description, la miniature... C'était un boulot monstre. J'ai voulu arrêter après le premier vlog, mais l'algorithme de YouTube m'a eu : ils ont bien mis en avant ma vidéo, j’avais 12 000 vues pour ma première. On m'a dit que c'était un score incroyable. Et effectivement, la deuxième, ça a été deux fois moins ! Mais Camille m’a dit que c’était vraiment bien, et qu’avec l’expérience et des vidéos moins longues, j’allais pouvoir le faire plus rapidement. Maintenant, j'essaie de sortir une vidéo toutes les deux semaines, mais ça reste beaucoup de travail. Heureusement, j'ai beaucoup de retours pour me dire que c'est super, et c’est motivant, ça me permet de trouver la force de continuer et de nourrir mon côté thérapeutique en dehors des tables de poker. J’espère continuer aussi longtemps que possible, mais il faut que je reste vigilant sur la qualité de ce que je publie.
"Le poker me tire vers le haut”
Ce lifestyle de grinder que tu montres dans tes vidéos, il te plait ?
Clairement, le poker me tire vers le haut. Par exemple, je ne vois pas trop l’intérêt de se mettre une énorme cuite tous les samedis soir, sachant que le dimanche, je serai une loque toute la journée, alors que je vais jouer jusqu’à 2 000 € de buy-ins. Donc cela me permet d'être meilleur sur l'hygiène physique. Je vais faire du sport quasi tous les jours, et cela me permet d'être une meilleure personne, d'avoir des meilleurs résultats au poker. C'est d'une pierre deux coups, ça m'a également permis d'arrêter de fumer. Arriver dans les conditions optimales à table, et proposer mon meilleur niveau de jeu, c'est donc pas mal de travail. La conséquence, c'est que j'ai une vie de meilleure qualité, des relations plus saines, une bonne condition physique, donc c'est top. Je suis vraiment hyper reconnaissant de pouvoir vivre une vie pareille, de vivre de ma passion.
Quelle est ta logique de progression ?
C'est vraiment par phases. La première fois, avec la MasterClass Kill Tilt, il y avait une partie avec un neuroscientifique qui expliquait les mécanismes de l'apprentissage. En vingt ans d'études, on ne m'a jamais appris à apprendre, comment reprendre une information, comment la mémoriser, comment la réactiver pour acquérir l'information. Puis il y a eu la Summer School de zChance44 où j'avais postulé. Je n'avais pas été retenu car il recherchait des joueurs avec un ABI inférieur à 20 €, mais suite à cela d'autres joueurs m'ont contacté pour créer un groupe de travail avec qui je bosse tous les jours depuis maintenant deux ans et demi.
Et quand je suis arrivé au Canada, Nicolas Dumont m'a contacté, pour une raison vraiment absurde : on a le même nom de famille, et son petit frère s'appelle Adrien ! Pour cela, il m'a demandé si je voulais intégrer son groupe de travail... J'ai répondu : "Carrément". C'est quelqu'un qui est super compétent, donc let's go. Il m'a invité pour faire la prise de notes, mais je bénéficiais de l’expérience de joueurs meilleurs que moi, alors j’étais heureux de faire ça. Cela m'a permis de rencontrer Ugo Faggioli qui est devenu un très bon ami, ça m'a permis de renforcer mon entourage. Je travaille aussi avec "Brelanciaga", que j’estime énormément. C’est un jeu de bouche à oreille et, au final, tout cela permet de progresser, d'avoir des meilleures connaissances techniques. J'ai l'impression que je vais dans la bonne direction.
Tu t'intéresses beaucoup à l'aspect technique du jeu. Mais le poker en lui-même, c'est un sujet qui t'a aussi intéressé dès le départ ? L’actualité, les grands joueurs, les gros tournois…
On en revient à ma découverte du poker : l'ami avec qui je jouait m'avait parlé de Dans la Tête d'un Pro. Je trouvais ça incroyable. Les premiers que j'ai vus, c'était avec Guillaume Diaz et Romain Lewis, qui gagnaient tout et qui étaient les premières figures emblématiques m’ayant ouvert la porte du poker professionnel. Après, j'ai découvert les grands noms américains, et j'ai tout de suite été impressionné par ces personnes-là, qui se comptaient sur les doigts d'une main. Maintenant, j'ai l'impression que c'est quelque chose d'accessible, de réalisable, donc il y a vraiment un gap entre la personne que j'étais il y a trois ans et celle que je suis aujourd'hui. Ceux que j'estime énormément, au niveau de la charge de travail, ce sont aussi les regs des high-stakes, comme Adrián Mateos, Stephen Chidwick. Des mecs qui ont vraiment poussé le poker à son paroxysme, un peu comme Magnus Carlsen aux échecs, qui évoluent à un niveau stratosphérique. J'aime bien regarder ces personnes-là, qui ont ces capacités de travail et qui ont fait des grandes choses auparavant, parce que je me retrouve dans leurs valeurs.
Pour conclure, quels sont tes projets sur ta chaîne YouTube, et avec le Stream Gang ?
J'aimerais bien continuer, et arriver à mieux gérer ce vlog, pour que ça se passe d'une manière moins chaotique, donc ça c'est vraiment le projet principal actuellement. Ensuite, il y a peut-être des projets de grindhouse, comme l’a fait zChance. Si jamais il ne le fait pas pendant une période de Series, c'est quelque chose que j'aimerais bien mettre en place avant de partir du Canada. Un chalet pour grinder ou quelque chose comme ça, pour vraiment retrouver cette ambiance conviviale. Sinon, je n’ai pas d’autres projets en cours, mais je serais très motivé pour en faire. Je n'ai pas trop d'imagination donc si jamais vous avez quelque chose à me proposer, n'hésitez pas !
Propos recueillis par Rootsah
Photos : dum_trip, Winamax
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