[Blog] Main Event : 15 ans de passion
Par Tournois Live
dans2006 : la première fois
J’étais jeune, et même si cela faisait déjà trois ans que je pratiquais le poker, les tournois MTT étaient encore quelque chose de très neuf pour moi. Je n’avais que quelques mois d’expérience sur ce terrain de jeu. À cette époque, il n’y avait pas beaucoup d’outils disponibles pour travailler son jeu. Je m’en sortais avec les notions de base, et mes instincts : j’avais déjà compris deux ou trois choses qui me permettaient de faire de bonnes sessions en ligne. Par exemple, j’avais intégré que le jeu agressif était une stratégie gagnante, car la plupart des joueurs foldaient beaucoup trop.
L’excitation de jouer le Main Event pour la première fois était indescriptible, tout comme celle de découvrir l’Amazon Room pleine à craquer. Une cocotte-minute remplie de joueurs chauds bouillants ! Avec plus de 8 000 inscrits, c’est d’ailleurs un record qui a été battu cette année-là : quinze ans plus tard, il tient toujours. Pourtant, malgré l’effervescence, j’étais très à l’aise. Un jeune en pleine confiance, conscient qu’il avait un « edge » sur la plupart des autres partants...
Et de fait, mon début de tournoi se passe bien : je monte un gros tapis à une table d’inconnus américains. Je passe le Day 1 et le tirage au sort du Day 2 me place à la table du chip-leader. Je ne le sais pas encore en prenant ma place, mais mon Day 2 ne va durer que vingt petites minutes. Vous l’avez deviné : je me suis fait éliminer par ledit chip-leader. Une histoire de paire de Dames surjouée… Le pot est 4-bet préflop et je call son c-bet au flop avant de faire tapis sur le turn après son deuxième barrel. Il n’y avait que des petites cartes au flop… mais mon adversaire, lui avait deux Rois. En 2006, la structure était moins belle qu’aujourd’hui, mais tout de même : je venais d’engager quelque chose comme 300 blindes avec une simple paire. Inutile de se voiler la face : c’était un énorme « spew » !
Cette expérience m’a servi de leçon. J’ai réalisé que l’excès de confiance pouvait rimer avec danger. Par la suite, j’ai intégré les notions de stratégie « low-variance » et de survie dans mon plan de jeu.
2007 : le premier ITM
Voulant à tout prix ne pas répéter l’expérience traumatisante de l’année précédente, j’ai super bien géré mon tournoi. J’ai évité les balles au maximum et terminé dans l’argent, aux alentours de la 400e place parmi les 6 350 participants. Je n’oublierai jamais les émotions qui m’ont traversé quand la bulle a éclaté, ma première sur le Main Event. Il faut dire que l’évènement s’est joué à ma table : deux joueurs très agressifs avec de gros stacks ont tous mis au milieu avec… KK et AA ! Le pot a été 6-bet préflop, le coup était vraiment impossible à éviter vu les profils des deux joueurs. Mais quel sentiment électrique quand l’annonce se fait retentir dans les haut-parleurs : on est dans l’argent ! La salle entière gronde, j’ai encore des frissons en y repensant. Il n’y a que sur le Main Event que l’on peut vivre un moment aussi fort juste pour un simple ITM. Je me rappelle m’être demandé ce que je pourrais alors ressentir en cas de table finale, voire de victoire… Et c’est là que j’ai compris : aller au bout du Main Event, c’était désormais mon objectif numéro 1 en tant que joueur de poker.
Concernant cette édition 2007, il faut aussi que je vous parle de mon début de tournoi. En rétrospective, ce Day 1 fut peut-être le plus important de tous ceux que j’ai joués dans ma carrière... Au coup d’envoi, je me retrouve à une table où je ne reconnais personne. Personne, y compris ce jeune français que j’observe en train de discuter tranquillement avec ElkY. A cette époque, ElkY a déjà une belle réputation, je suis donc un peu impressionné. Je me présente au jeune français. Il s’agit d’Aurélien Guiglini, alias « Guignol ». Un très bon joueur de poker, et déjà quelqu’un d’influent dans le monde du poker francophone : un an plus tôt, il avait été l’un des premiers recrutés pour construire de zéro un tout nouveau site de poker en ligne appelé Winamax… Mon Day 1 n’aurait pas pu se passer mieux : je run good, je fais tilter mes adversaires, et je les élimine tous… tous, sauf Guignol ! J’ai terminé le Day 1 avec le quatrième plus gros tapis du Main Event et par la suite, Guignol a eu l’occasion de me le confier : ce jour-là, je lui ai fait un certain effet. Quelques mois plus tard allait naître le Team Winamax, que j’allais rejoindre au printemps 2008… Un bon tirage de table, c’est ça aussi !
2009 : dix minutes à table !
La consultation des archives fait mal : entre 2008 et 2016, je ne suis pas entré dans l'argent du Main Event une seule fois. Même si j’ai parfois subi des « setups » inévitables, même si je me suis pris quelques bad beats, il faut reconnaître que la plupart du temps je n’étais pas dans les meilleures conditions pour perfer sur ce tournoi. Longtemps je suis arrivé à Vegas très tôt, au début du mois de juin, et je jouais le programme complet des WSOP. Soit six semaines d’épreuves presque quotidiennes. Le Main Event étant toujours programmé à la fin du festival, j’y arrivais souvent en « burn out », sans vraie envie de jouer. En résumé, je ne me donnais pas toutes les chances de réaliser mon rêve... Ceci dit (et sans vouloir trop « brag » plus que nécessaire !), j’ai eu la chance de faire pas mal de belles performances à Vegas. Le fait d’avoir plusieurs fois atteint mes objectifs avant le Main Event pouvait donc aussi expliquer ma baisse de motivation sur la dernière ligne droite.
Bref, en 2009 je m’inscris au Level 3. Déjà une grave erreur : il ne faut jamais, au grand jamais arriver en retard au Main Event. Mais ma table a l’air facile (ce qui est une constante sur ce tournoi), et je compte bien mettre en place ma stratégie d’attaquant habituelle, afin de monter beaucoup de jetons pour le Day 2. Blindes 100 / 200, je relance à 400 au hijack avec Dame-10 dépareillés. Le cutoff call, le bouton aussi. En petite blinde : un Américain très âgé, 80 ans bien tassés. Il annonce « raise » et perd ses moyens au moment d’avancer les jetons en tremblant. Résultat : ça sera une relance du minimum, soit 600. Bien entendu, je rajoute les 200 jetons, en me disant tout de même que cela ressemble fortement à une paire d’As, vu l’attitude du monsieur. Flop : Dame-10-2. Parfait, je le tiens ! Le double up me tend les bras. Le monsieur mise 3 000 : je me contente de call, les autres joueurs passent. Turn : 9, mon adversaire mise 9 000 sans même regarder le board. Je comprends que si je fais tapis, il ne foldera jamais. Ayant peur qu’un 8, un Valet ou un Roi calme l’action à la rivière, j’annonce donc « all-in ». Mon adversaire snap-call et retourne la paire d’As attendue. La rivière est une doublette du 9. Je suis éliminé !
Sur le papier, c’est un bad beat tout à fait banal… Mais j’en ai tiré la plus grande leçon qui soit sur la stratégie globale à adopter sur le Main Event. La notion de survie y est primordiale, beaucoup plus que sur la majorité des autres tournois. Pourquoi ? Parce qu’un pro y a un edge très elevé, et que la profondeur est inégalée. Payer sur le turn était donc bien meilleur que faire tapis ! Même si en payant le turn je perds de l’EV sur certaines rivières, je suis presque certain des cartes de mon adversaire : je peux donc jouer le coup parfaitement sur la rivière, en abandonnant si un 9, un 2 ou un As viennent à apparaître. On apprend de chaque erreur…
2017 : je me charge de la bulle
Dix ans sans entrer dans l’argent sur le Main Event : ce n'est pas long. C'est interminable ! Ce n’est pas normal que je ne performe pas sur tournoi ! Avec une tonne de joueurs amateurs en lice aux profils passifs faciles à lire et à gérer et avec sa structure tellement deep qui permet de les exploiter au maximum, le Big One est taillé pour moi. Plus que jamais, je dois tirer les leçons des éditions précédentes et réajuster mon jeu en conséquence. Je l’ai déjà dit et c’est toujours aussi vrai : le Main Event est mon rêve ultime. Ma motivation doit donc être maximale, ma concentration aussi ! Des résolutions sont donc prises. La première : arriver un peu plus tard sur les WSOP, histoire d’être plus frais au moment d’attaquer le Main Event. Ensuite : jouer « low variance », et donc mettre la survie au-dessus de toute autre considération.
Trois jours durant, je donne ma vie sur chaque décision. Arrive la bulle, en fin de Day 3 : j’ai un beau tapis. C’est là qu’un riche joueur high-stakes de Macau, Quan Zhou, décide d’envoyer un énorme bluff à la rivière. Heureusement, j’ai en main une paire de Rois qui vient de trouver le full max : c’est le call le plus facile du monde. Je me rappelle encore de ma femme Caro (qui n’était pas encore ma femme !) : comme nous, elle passait d’interminables minutes dans le rail à se ronger les ongles, attendant que toutes les autres tables (plus de cent !) finissent les mains en cours pour que nous puissions révéler nos cartes. Elle se disait que j’étais complètement fou d’avoir tout risqué à la bulle alors que je voulais absolument finir dans l’argent ! Et c’est vrai que l’écart entre mon stack et celui du businessman de Macau était d’une demi-blinde seulement. Mais au showdown, j’avais la gagne ! J’ai donc craqué la bulle, et ENFIN retrouvé cette sensation unique de faire ITM sur le plus beau tournoi du monde. Toute la salle a crié de joie… et moi aussi !
Malheureusement la suite fut moins réjouissante. J’ai sauté le lendemain, en fin de Day 4. C’est la journée la plus difficile à franchir, on passe de 1 000 à 200 joueurs, il n’y a pas de paliers importants donc tout le monde est chaud pour prendre des risques. Il faut absolument gagner ses confrontations préflop et mettre un peu de variance dans son jeu…
Souvent placé mais pas encore (bien) payé
Le même scénario s’est répété en 2018 puis 2019. J’ai donc fait 3 ITM de suite sur le Main Event… sans jamais parvenir à franchir ce satané Day 4. Au fond de moi j’en suis convaincu : le jour où j’arriverai enfin au Day 5, j’irai beaucoup, beaucoup plus loin ! Fort de mon expérience, j’ai aujourd’hui bien intégré les changements de vitesse nécessaires selon les différentes phases du tournoi. J’ai pris conscience de l’importance que revêt pour moi le Main Event, ce qui me permet de rester motivé et concentré tout du long.
Bravo aux deux Français - les deux Nico ! - pour leur énorme deep run. Ils ont fait preuve de beaucoup de maîtrise pour arriver jusqu’aux demi-finales. Cette édition 2021 a été remportée par un excellent joueur ayant toutes les qualités requises pour ce genre de tournoi : Koray Aldemir. Une victoire 100 % méritée !
Le Main Event, je compte le jouer encore de nombreuses années… probablement jusqu’à la fin de ma vie. Un jour, j’en suis sûr, l’opportunité va se présenter : il ne tiendra qu’à moi de la saisir !
Merci de m’avoir lu.
Allez saluuuut ! COAD !
Kitbul