[Blog] EPT Paris : 5 mains capitales

Par dans

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Je vous écris ces mots au sortir d’un superbe EPT Paris. L'édition 2024 du festival a en effet battu sans problème ses propres records d'affluence... Même si pour ma part, j'ai seulement disputé cinq tournois. Pour commencer, une tentative sur l'énorme Main Event FPS puis deux bullets sur son High Roller à 2 000 € l’entrée. J'ai ensuite buy-in le Main Event, sur lequel j’ai terminé en 76ème place. Enfin, pour finir en beauté ce festival, j’ai fait le choix de m'inscrire au Highroller à 10 300 €, sur lequel j'ai frôlé la qualif' pour le Day 3, à deux mains près. Un peu comme si j'étais devant les caméras de Dans la Tête d’un Pro, je vais, dans ce blog, commenter les 5 mains les plus marquantes de mon séjour parisien. Des mains sur lesquelles je vais me baser pour travailler mon jeu et progresser.

Première main

Nous sommes au premier niveau sur le High Roller FPS à 2 000 €. Un joueur ouvre à 600, un autre 3-bet à 2 200 en milieu de parole et je soulève une paire de Rois en petite blinde. Jusqu’ici, tout va bien... J'augmente les enchères à 7 000 jetons. La suite, c'est surtout une histoire de tells... La parole revient au premier joueur, et je décide cette fois d’essayer de focaliser mon attention sur mes adversaires lorsqu'ils jouent. Et ce joueur, il regarde dans le vide. Je vois qu'il ne réfléchit à rien, comme s'il attendait la suite, simplement. Ma voix intérieure me dit qu'il ne va pas passer sa main. Il n'a l'air ni sérieux, ni embêté, ni engagé. Il est d'une neutralité exemplaire. À ce moment-là, il regarde à nouveau ses cartes, soupire, balance sa tête de gauche à droite comme s'il n'était pas d'accord avec lui-même. Finalement, affirmant “devoir y aller", il finit par annoncer all-in pour 30 000 jetons, soit 150 blindes.

Dans ma tête, je suis assez certain qu'il détient les As : je n’ai jamais vu quelqu'un oser montrer autant d'émotions négatives lorsqu’il possède une main compliquée avec laquelle payer. On est clairement au niveau 1 de l'acting. Résigné par la force de ma main et par le re-entry possible, je lui lance un : "Il semblerait vraiment que tu ai les As, mais je ne vais pas passer." Même si je pense qu'il a deux As, je ne vais pas coucher ma paire de Rois car j'ai vu tellement de folies à ce jeu... Et puis, c'est les Rois quand même ! Je paye, il me montre une paire d'As, je ris un peu jaune, je perds le coup et je me rends aussitôt aux caisses pour re-entry.

RL
Quelque part dans ma tête, cette élimination reste une leçon. Certains niveaux d'acting sont si évidents que je peux suivre à fond mes lectures. À retenir, cela me servira sur de plus gros tournois ou des moments avec plus d'enjeu. Rien n'est inévitable au poker. Ce n'est pas grave de se tromper, mais il ne faut jamais se sentir obligé de jouer une main d'une certaine manière. Il ne faut pas banaliser les reads qu'on peut avoir à une table en dur, car c'est toute la beauté du jeu en live par rapport au jeu online : ce n'est pas le même jeu. Je m'en souviendrai pour le futur !

Deuxième main

Nous sommes encore au Day 1 du Main Event EPT. Je viens de passer un bluff à la river cinq minutes avant ce coup. Un joueur ouvre en milieu de parole, je paye avec A6 en petite blinde, et Alexandros Kolonias, que j'ai beaucoup joué devant les caméras de Dans La Tête d'un Pro décide également de défendre sa grosse blinde. Je ne suis pas dans ma zone de confort lorsque je joue contre lui ou ce genre de joueurs, car il fixe intensément ses adversaires. C'est pour cette raison que j'essaie de faire de même. Mais lorsqu'une bataille de regards se lance au milieu d'une main contre un joueur que j'estime très compétent, mon niveau d'inconfort augmente, alors j'essaie d'améliorer cette partie de mon "mental game".

Le flop vient 1064. Je possède la deuxième paire et le tirage couleur max. Je check, mon ami grec également et le relanceur initial opte pour une mise de continuation d'environ un tiers du pot. J'hésite entre relancer et payer, mais je décide de call, car nous sommes en début de tournoi et je n'ai à ce moment-là pas encore assez d'informations sur mon adversaire. Alexandros paye également. La turn est un 10. Tout le monde check, et la river est un 9 qui fait rentrer la couleur backdoor. Je check, Kolonias mise un tiers du pot et le relanceur initial finit par se coucher.

N'ayant qu'un bluff-catcher, la logique serait de fold. Cependant, l'option de relancer s'immisce petit à petit dans mon esprit. Mon adversaire a quelques "snap-folds" que je domine, et c'est très difficile pour un 10 de suivre si je relance. Je viens de passer un bon bluff dans lequel j'avais beaucoup de confiance, mais là tout à coup, je ne sens pas trop le fait d'essayer de faire coucher un brelan. D'autant plus contre un adversaire qui va prendre tout son temps, et peut-être carrément se retourner sur sa chaise pour me fixer. J'ai envie de me tester, et c'est très dur de trouver des bluffs dans ma range. Alors je décide de relancer à 8 000. Les premières secondes, je suis assez tranquille. Et là, comme prévu, il se retourne et me fixe. Je ressens un énorme coup de pression. J'essaie de respirer le plus possible, mais j'ai l'impression que chaque respiration donne de l'oxygène à ma pression interne. C'est écrit sur ma tête que je bluffe, j'en suis persuadé.

Au bout de 30 à 40 secondes de réflexion, il arrête de me regarder, regarde à nouveau le board, prend le temps de la réflexion annonce une relance à tapis, pour 16 500 jetons.

RL
Ma première réaction est l'incompréhension totale ! Pourquoi il ne paye pas, simplement ? Il veut me dire qu'il possède un full house ? Mais alors, quel full peut-il avoir ? 10-9 ? C'est tout ? Pendant deux minutes, je pense à bluffcatch avec ma main tournée en bluff, car je suis persuadé qu'il a vu que j'étais en train de bluffer. Je suis complètement perdu et il n'y a rien de technique dans tout ça : tout est purement basé sur les dynamiques du jeu en live et l'idée que je me fais de la situation. Alexandros a clairement vu que j'étais en train de bluffer et il me demande 8 000 jetons de plus dans un pot qui ferait quasiment 40 000. Mes cotes ne sont pas si horribles, mais je me résous à rendre ma main quand même. Je n'ai pas envie de prendre ma décision sur ce facteur-là. Même si j'ai raison, je ne ferai pas trop le fier. Et si j'ai tort, ma confiance prendra un sacré coup. En fait, c'est en quelque sorte le tournant de mon EPT. Je sais que j'ai envie de me focaliser encore plus sur mes adversaires, car j'ai ressenti intérieurement à quel point cela pouvait m'affecter personnellement lorsqu'un bon joueur le fait sur moi. S'il m'a affirmé ne pas avoir bluffé, je ne saurai jamais la vérité. Cependant, savoir cela peut m'aider à passer un cap mental. Le poker, c'est la guerre, et je me dois de dégager une impression plus agressive.

Les deux mais à venir sont similaires. Mais comme vous allez le constater, la première main de mon Day 1 m'a énormément aidé pour les prochaines. Cette fois, on se retrouve au Day 3 pour deux gros bluffs, qui plus est sur la river, et en fixant mon adversaire...

Troisième main

Lewis Spencer relance en position UTG et je défends ma blinde avec 4-5 dépareillé. Nous jouons plus de 50 blindes effectives. Le flop vient J-8-5. Je check/call une mise de 22 000 dans un pot de 44 000. La turn est un 9. On check tous les deux. La river est un 6, et je décide d'overbet à 120 000 dans un pot de 88 000. Je l'ai regardé durant la quasi-totalité du coup alors que lui ne m'a pas regardé une seule seconde. À ce moment-là, je suis assez serein et mon adversaire finit par passer sa main assez rapidement. Je suis persuadé qu'en plus d'être un élément perturbateur, le fait d'observer l'autre a un effet de bouclier.

Quatrième main

Le second bluff est plus complexe sur le plan technique, mais reste plus ou moins similaire, dans cette baston de regards en live. Lewis Spencer relance UTG, encore. La petite blinde défend et je décide de compléter ma grosse blinde avec mon Roi-Dix dépareillé. Le flop vient 10-6-4 sans tirage couleur. La petite blinde check, je fais de même, et Spencer mise 25 000 dans un pot de 70 000. Je paye, tandis que l'autre joueur dans le coup décide de coucher sa main. La turn est un 8. Je fais alors le choix de reprendre les devants en misant 45 000 jetons dans un pot qui en fait désormais 120 000. Il paye. Sur le 5 river, j'envoie une mise de la moitié du pot, soit 110 000 dans un pot de 210 000.

La même situation se répète. Je me sens beaucoup plus calme que contre Kolonias, car Spencer est dans une guerre contre lui-même. Il ne me regarde pas du tout. Je suis très serein. Il n'a pas trop de 7 dans sa range, et il ne va pas baser son coup sur un live read. Je suis sauvé. Il fold, énervé. Je gagne en jetons, et en confiance !

Cinquième main

RL
De mon séjour parisien, le dernier coup que je vais vous raconter est celui qui vaut le plus d'EV, mais c'est un bon exemple de "comment se faire avoir par les maths". Il reste 34 joueurs sur le High Roller à 10 300 €, nous sommes dans l'argent depuis quelques heures et il reste deux mains à jouer dans ce Day 2.

Rui Ferreira relance en milieu de parole et est payé au bouton par Robin Ylitalo, ainsi que la petite blinde. Avec 45 BB en ma possession, je décide de défendre mon A9 en grosse blinde.

Le flop vient J85. C'est checké jusqu'au bouton qui mise 40 000 dans 150 000. C'est payé par le joueur en SB, je paye et là, à la surprise générale, Rui Ferreira fait tapis pour 300 000 jetons, soit 20 BB. Je m'apprête à jouer un gros coup et je me dis bien évidemment que je ne pourrai pas passer ma main avec les cotes qui me sont offertes. Mais c'est payé par le bouton... Et là, mon coeur s'emballe. Je vais vraiment devoir risquer mes 45 blindes sur le coup ? Puis-je folder ? Je prends un peu mon temps mais je comprends rapidement que je vais devoir prendre le risque. "I'm all-in". Ylitalo est dépité au bouton, mais rajoute les 350 000 jetons supplémentaires. Les mains ? Dame-Valet dépareillé chez Rui... Difficile à sa place de faire autrement, mais ce n'était pas une obligation non plus. Robin Yitalo possède As-Valet. Pas dingue : il me brûle mon As...

Il y a 1 800 000 jetons au milieu : le vainqueur de ce pot grimpera dans le top 3 du chipcount. La turn est un As qui ne change rien donc, et la river une brique. Je suis sonné. Je suis éliminé. Je n'ai rien demandé à personne et je me retrouve à défendre ma BB, payer les 40 000 jetons au flop et investir tout le reste pour espérer avoir de la chance, car les cotes et l'ICM me dictent de le faire. C'est parfois ça le poker, et il faut aussi l'accepter. J'ai du mal à digérer pendant une petite demi-heure, mais rapidement je me rassure en me disant que je ne pouvais pas faire grand-chose d'autre.

C'est la fin de mon festival : je récupère trois fois le buy-in sur le Main Event et deux fois le buy in sur le High Roller pour mes efforts conjugués. Bilan ? Je ne vais pas retenir cet EPT Paris pour le petit profit financier que j'y ai obtenu, mais plutôt pour le cap mental qu'il m'a fait passer. Oui, j'ai arrêté d'être le gentil à table. Le poker, c'est la guerre, et je suis plus prêt que jamais à me battre sur les plus hautes limites du game !

À bientôt les guerriers !

Romain


rLewis

Étoile montante de sa génération, le Bordelais a confirmé tous les espoirs placés en lui en 2021 en décrochant un premier bracelet WSOP !

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