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[Blog] An American Story (Part 3)

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An American Story - Part 3

Résumé des épisodes précédents : au hasard d’un tournoi au Planet Hollywood, à quelques semaines du lancement du Main Event des WSOP, Pierre Calamusa croise la route de Tony Miles, joueur Américain inconnu en qui il trouve une énorme force de caractère, et décide de le coacher pour le plus beau tournoi du monde. Tout se passe comme dans un rêve et, après sept jours d’effort, Tony s’assure une place parmi les neuf finalistes en même temps qu’un gain minimum d’un million de dollars…

Day 7 et 8 - Petit à petit, l'oiseau fait son nid

Il est environ 23 heures. Nicolas Manion relance UTG, Antoine Labat flat UTG+1 et Yueqi Zhu shove ses 40 blindes en milieu de parole. Un vent d'excitation parcourt l’Amazon Room lorsque Manion engage son tapis à son tour, payé par Antoine ! La désormais cultissime confrontation AA contre KK contre KK clôt ce Day 7. Le premier objectif est atteint : Tony Miles va participer à la table finale du plus grand tournoi du monde.

Le public est en feu, le bruit à la limite du supportable. Tous les joueurs rejoignent leurs clans respectifs, qui parfois même fusionnent dans un joyeux bordel. L'euphorie est palpable, chacun savoure le chemin accompli. Après avoir chaleureusement embrassé chacun des membres de notre rail, et en particulier la famille de Tony, je m'éclipse rapidement. Pour moi, la fin de Day n'est pas synonyme de fin de journée. Elle ne fait même que commencer. De son côté, est indispensable que Tony puisse se reposer et profiter d'une nuit de sommeil le plus réparateur possible.

Tony Miles - Pierre Calamusa

Une dernière embrassade avan de repartir bosser.

Ma nuit est courte. D'un point de vue technique, je dois mettre en place toute la stratégie de la table finale et tous les scénarii les plus probables, afin de les soumettre à Tony dès le petit matin. L'autre partie de mon boulot de coach est plus abstraite. Il s'agit d'amener Tony à jouer sur ses points forts et le moins possible sur ses points faibles. Le Main Event des World Series est un tournoi unique. Il ne se joue pas tant sur la précision technique que sur la solidité mentale, une ténacité à toute épreuve et la capacité à garder des nerfs d'acier alors que des millions de dollars sont en jeu. C'est pour ÇA que j'ai cru en Tony dès le début. J'avais cette intime conviction qu'il avait le profil parfait pour perfer sur ce marathon.

Mon plan de coaching se met assez rapidement en place dans ma tête. Le Day 8 sera le plus rapide puisqu’il s'arrêtera au bout de seulement trois éliminations. Il s’annonce également comme le plus dangereux pour Tony. Avec un tapis relativement profond le plaçant en troisième position, cette journée est un véritable piège. Tout à perdre et quasi rien à gagner.

Mon aide est donc d’abord essentiellement technique. Elle se doit de rester simple et facilement mémorisable car Tony dispose d'une expérience limitée en poker de tournoi. Surtout, la fatigue accumulée et le stress lié aux enjeux empêchent l'apprentissage de stratégies multiples et complexes. Je décide donc de cantonner mon coaching à la mise en place de ranges d'open, de 3-bet et de défense de blindes, face aux situations de jeux que j'estime les plus probables. Par exemple : John Cynn ouvre au bouton, quelles mains faut-il défendre en BB, quelles mains faut-il 3-bet, etc.

Tony Miles - Pierre Calamusa

Interro surprise avant de s'asseoir autour de la table finale.

En deuxième plan, je veux conserver un volet sur le "poker pur", la mise en place d'une stratégie globale post flop. La tâche est plutôt facile, elle est similaire en tous points à celle appliquée lors des Day 6 et 7. Tight, smallball, en évitant de faire grossir les pots, ICM oblige. Tony a 42 millions sur les blindes 300 000 / 600 000, coincé entre les deux chipleaders Nicolas Manion et Michael Dyer. Le premier à la position directe sur nous et le deuxième est un joueur sans peur et ultra agressif. Dans cette situation, seule l'approche conservatrice peut être envisagée.

70 mains. C'est le temps que dure le Day 8. Curieusement, à l'heure où j'écris ces lignes, je n'en ai que très peu de souvenirs. Il ne me reste que deux réminiscences : l'ascension de Michael Dyer et la solidité de Tony, conformément à la stratégie prévue. Le tapis de Tony n’évolue quasiment pas, passant de 42 à 57 millions, soit 57 blindes. Le mot d'ordre reste en tout cas le même. À la fin du Day, nous sommes quatrièmes sur six, devant Joe Cada (36 BB) et Aram Zobian (16 BB). Solide, concentré, conscient de l’ICM : tels sont les maîtres-mots avant d’entamer le Day 9.

Day 9 - Écrit dans les étoiles ?

Vers 10 heures du matin, je me rends dans la maison louée par Tony. Ses parents et sa famille proche ont fait le déplacement. D’entrée, je suis frappé par l'amour et la fraternité qui emplissent cet endroit. À peine arrivé, les parents de Tony me prennent dans leurs bras et m'invitent à partager leur petit déjeuner. Je réalise instantanément que je suis en train de vivre des moments d'exception.

Tony Miles - Pierre Calamusa Prière

Au moment de commencer à manger, alors que j'ai une furieuse envie de me jeter comme un sagouin sur le délicieux et croustillant bacon devant moi, Tony et sa mère me prennent la main. Accompagnés de son beau-père, nous formons un cercle et ils se mettent à prier. Je n'ai jamais cru en Dieu et pourtant, je me surprends à fermer les yeux et prier également. Je ne prie pas Dieu mais je veux juste exprimer ma reconnaissance à je ne sais trop qui pour ces instants incroyables. Prendre un court moment pour partager cette communion avec cette famille si formidable.

Une fois le bacon englouti, Tony récite ses gammes pour la énième fois : "Zobian open shove 17 BB au bouton, quelle est notre range de call en grosse blinde ?" Même si ses lacunes techniques par rapport à des joueurs chevronnés comme John Cynn, Michael Dyer et bien sûr Joe Cada sont encore patentes, une semaine de Main Event a suffi à faire progresser Tony à vitesse grand V. À ce moment-là, je sens assez précisément que le Day sera divisé en deux parties. D’abord, un plan passif jusqu'à cinq ou quatre joueurs restants, avec comme scénario le plus probable l'élimination du short stack Zobian puis celle de Cada, dont le tapis sera sans doute émoussé par le passage répété des blindes. S'ouvrira alors un tournoi entièrement nouveau, short-handed, avec une structure des prix incitant à une prise de risque beaucoup plus élevée.

Ce changement de plan de bataille a sans doute été le côté le plus fascinant de mon travail avec Tony, car il s'agissait de faire un travail sur l'homme et non plus sur la technique. Il fallait arriver à se servir de son passé, son histoire, sa relation très forte avec Dieu et sa famille pour transformer ce Day 9 en quelque chose de quasi mystique. Il était évident que nous allions perdre la bataille si elle était livrée sur le terrain des mathématiques. Alors qu’en l’amenant sur le terrain de la patience, de la rigueur, de la capacité à gérer le stress et les émotions, j'avais la certitude que Tony serait le meilleur. Il a tant vécu, notamment cette addiction aux drogues qui l'a presque tué, avant de se tourner vers la religion et une immense foi en Dieu, pour finalement compter sur le soutien indéfectible et l'amour infini d'une famille soudée dans la douleur et aujourd'hui unie vers la fortune.

Tony Miles - Joe Cada

Cinq joueurs restants. Joe Cada ouvre UTG, Tony 3-bet son bouton et rentre dans une longue réflexion après que le vainqueur du Main Event 2009 a envoyé son tapis. Une clameur s'élève, tapis payé ! Les jeux sont retournés : As-Roi face à une paire de 10. Dans mon esprit, Cada ne peut avoir qu'As-Roi dans ce coup et Tony, donc, deux 10. 4-bet shove deux 10 avec ces positions pour 45 blindes serait suicidaire.

Le flop me mortifie : Roi-9-8. Le turn et la river sont des briques et je regarde médusé le rail de Tony exploser de joie. Je comprends alors que, depuis mon spot isolé, j'ai lu toute la main à l’envers : Tony possédait As-Roi et Cada les 10 ! Je suis absolument stupéfait de cette grosse erreur de Cada à ce moment de la partie, surtout venant d'un joueur qui a déjà remporté le Main Event ! Plutôt qu'un shove, sa main me semblait être un flat clair. Cela me conforte encore dans l’idée que ce tournoi se jouera à la force mentale. Conséquence directe, Tony est maintenant en excellente posture à quatre joueurs restants.

À chaque break je sens Tony plus confiant, porté par une sorte d'aura de sérénité quasi mystique. Dès que l'occasion se présente, nous nous répétons que cette journée était écrite dans les étoiles, que le goodrun qu'il connait est un signe venu d'en haut. L'idée même d'être accompagné par une force supérieure lui donne énormément de force. La journée se passe comme dans un rêve, son tapis culminant à un hallucinant 240 millions de jetons alors que Nicolas Manion sort en quatrième place.

Avant ce jour, jamais je n'avais été aussi fier. Fier de voir ce W rouge sur sa poitrine tout au long de la journée sur ESPN. Fier lorsque Tony me décrit comme son coach lors de l'interview de fin de Day 9. Nous avons tous les deux l'impression de vivre un rêve éveillé : Tony fait partie des trois derniers joueurs du Main Event des WSOP, et il est chipleader.

Dyer - Miles - Cynn

Suite et fin au prochain épisode…


LeVietF0u

L'enfant terrible du Team Winamax a remporté les plus gros tournois W et fait souvent parler la poudre en live. Un talent ravageur, à la table comme sur les réseaux sociaux.

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